Intervention de Jacques Cotta

par Jacques Cotta

 Plus qu’une intervention ponctuelle, celle que je livre là, faite au troisième forum « No Euro », a été conçue pour aborder le sujet de la « démondialisation », des forces à rassembler, des regroupements à constituer non momentanément mais dans la durée. Il s’agit de dégager la méthode liée au contenu qui inévitablement mène à la nécessité de rompre radicalement avec l’UE et l’Euro. C’était à Chianciano Terme en pays étrusque, les 16 et 17 septembre 2016 :

   

Chers amis,

Georges Orwell nous a appris qu’i est aisé pour mieux duper le peuple d’utiliser un mot pour son contraire. La guerre c’est la paix, la fraternité c’est l’égoïsme, et la mondialisation c’est le bonheur n’est-ce pas ?

Pour aborder le thème du jour, « quelles alliances pour démondialiser », parlons d’abord rapidement de ce qu’est la mondialisation dont il s’agit de se défaire. Car « démondialiser » n’est sans doute pas ce qu’il y a de plus simple à comprendre. Par contre, le terme et son contenu sont assez simples à pervertir. La mondialisation dont on parle, c’est la mondialisation capitaliste. A travers le libre-échange, la mondialisation financière au moyen d’institutions à son service vise à assujettir l’homme, la nature, le travail à la loi exclusive du profit. C’est notre opposition au capitalisme qui nous guide à combattre le capitalisme financier et qui donne son sens à la « démondialisation ».

Pour le reste, nous sommes pour l’internationalisme qui sera le genre humain.

D’ailleurs ici, à Chianciamo terme, ces jours-ci, chez les étrusques, avec la présence de délégations de tous les pays d’Europe, l’internationalisme s’impose.

Le point de départ est donc le capitalisme, ses méfaits, la nécessité de rompre. Et tout le monde aspire à la voie la plus simple, la plus économique pour atteindre son objectif. Si le plus simple est l’aménagement des institutions supranationales qui pourraient de la sorte passer du service du capital à celui du travail, alors aménageons !

En d’autres termes, si le plus simple, le plus économique est la modification de l’union européenne, sa réforme, celle de la commission, des institutions qui du service de l’oligarchie pourrait passer au service des peuples, alors réformons !

C’est bien là-dessus que surfent –ou tentent de surfer- les eurosceptiques, les partisans d’une Europe sociale, les thuriféraires de la transformation de l’Europe technocratique en Europe démocratique. Ceux-ci s’accommodent de l’UE, de l’Euro, de la BCE, de la commission ou encore de l’OMC ou de l’OTAN…

Le concept de « démondialisation », aussi juste soit-il, ne permet ni bloc de forces organisées, ni une adhésion populaire.

  • Pour l’adhésion populaire, il manque de clarté et exige une approche théorique. Or, c’est l’expérience concrète qui permet d’avancer.
  • Pour un bloc de forces organisées, rares sont ceux qui n’ont pas été absorbés par le système. Pour les quelques autres, la survie de petites boutiques, de petites épiceries s’oppose de fait à la création d’une grande surface.

Le plus important est donc l’adhésion populaire pour laquelle on assiste à un paradoxe : d’une part l’intérêt général passe par la rupture avec la mondialisation capitaliste et avec ses institutions, d’autre part celle-ci ne parvient pas à s’imposer sinon qu’occasionnellement, en France en 2005, en Grande Bretagne avec le Brexit dernièrement.

Il s’agit de convaincre sur le fait essentiel que toute sauvegarde des acquis collectifs, et à fortiori toute avancée, ne peut passer que par la rupture avec la mondialisation capitaliste, avec ses institutions dont font partie l’UE, l’Euro, l’OTAN par exemple.

Mettre à jour dans ce travail de persuasion pédagogique le double discours qui en fait devient un des derniers remparts de ces institutions, la nécessité par exemple « de rompre avec les traités » sans mettre en avant la condition politique incontournable pour y parvenir, à savoir la rupture avec l’UE elle-même.

Concernant le double discours, sans aller chercher en France les spécialistes à « la gauche de la gauche » qui durant tout un temps ont proclamé la « nécessité d’une Europe sociale » pour s’accommoder dans les faits de l’UE, de l’Euro, de la BCE et de la commission, nous pouvons faire un détour par la Grèce.

Alexis Tsipras dont l’Europe connaît maintenant les exploits se déclare pour d’autres décisions que celles dictées par la Troïka, d’autres mesures qui permettraient de desserrer l’étau sur le peuple grec.

La situation en Grèce est connue. Le taux de chômage dépasse les 25%, la misère explose, les privatisations opérées par « la gauche de la gauche » dépassent la pire des imaginations. Et dans le quotidien « le Monde » en date du 9 septembre 2016, Alexis Tsipras déclare donc, je cite : « Nous sommes toujours contraints d’appliquer une stricte politique d’ajustement budgétaire (…). Nous ne constatons pas la nécessaire générosité de nos partenaires sur la question de l’allégement de la dette ».

Le double discours se double là d’une hypocrisie qui n’échappe à personne.

Contraint dit Tsipras, mais par qui ?

 Il a été élu en janvier 2015 sur un programme de rejet des mémorandums de la Troïka. En juillet 2015 ce mandat a été confirmé par référendum. Et quelques jours plus tard seulement Alexis Tsipras cédait au chantage de l’UE, de la BCE et du FMI et commençait à mettre en œuvre leurs plans, promettant d’ailleurs que chacun serait le dernier avant qu’un nouveau plus dur encore vienne frapper les grecs dans leur grande masse.

Revenons donc à l’essentiel.

La question est donc de convaincre qu’il n’y a d’issue en définitive que dans la rupture avec l’UE et l’Euro.

Comment faire ?

Depuis des années nous mettons en relation la misère et les difficultés grandissantes subies par le peuple avec la mondialisation capitaliste, avec l’UE, l’Euro et les institutions supranationales. Si cet élément de la démonstration est nécessaire, il est de toute évidence insuffisant. Il nous revient d’indiquer aussi qu’une autre voie est possible et qu’elle passe inévitablement par la rupture nécessaire avec l’UE et l’euro.

Nous assistons à la mise en pièce des conquêtes sociales :     

  • Les droits sociaux, l’assurance maladie, les retraites, la protection contre le chômage alors qu’en 1945, lorsque la France était à genoux, elle décidait de se payer la sécurité sociale. ·
  • Le bradage de tout ce qui est partagé par les membres de la communauté politique, les services publics notamment.

Tout se passe comme si cela était inévitable. Comme si nous n’avions aucune prise. Comme si les hommes politiques n’avaient d’autre choix que d’appliquer une politique dont le plus grand nombre ne comprend vraiment ni les causes, ni l’identité des fautifs, les Hollande ou Sarkozy en France, les représentants de la Troïka au pouvoir.  

Créer des alliances pour « démondialiser », pour sortir de l’UE et de l’Euro, cela passe donc par un double éclairage : 

  • Le rapport entre la marche à la barbarie et la mondialisation capitaliste. 
  • Le rapport entre un programme transitoire permettant de répondre aux besoins urgents de la collectivité et de ses membres et les obstacles à la mise en place d’un tel programme, le capitalisme mondialisé.

Parmi les éléments constitutifs d’un tel programme de transition quelques éléments sont urgents et devraient être mis en avant.  

a/ assurer une vie décente pour tous.

Il existe aujourd’hui en France 9 millions de pauvres selon les chiffres officiels. Je préfère pour ma part évoquer les travailleurs pauvres, car la pauvreté a une cause. Les salaires trop bas, l’absence de travail, la précarité, etc… Le travail est toujours au départ, la pauvreté n’étant jamais le produit d’un choix venant d’on ne sait où ! 9 millions donc de travailleurs pauvres.

La précarité a explosé.

Une vie décente cela signifie pouvoir se loger, se soigner, se nourrir, se vêtir, éduquer ses enfants…

Une vie décente cela signifie un principe de vie collectif dans la société, le secours apporté par la collectivité à chacun, quel que soit ses moyens…

Bref, le principe fondateur de la sécurité sociale.

Au centre d’une vie décente se trouvent évidemment les services publics. Je ne développe pas…

  • Mais cela est contradictoire avec les politiques d’austérité imposée par l’UE, ses directives, ses institutions…
  • Cela est contradictoire avec le pillage des fonds publics pour payer les dettes privées.  

Certains des éléments que j’évoque ci-dessus sont assez démonstratifs.

Les retraites par exemples.

Il faut reprendre au capital les 8 à 10% qui ont été volé au travail dans les 20 dernières années. Les objections énoncées régulièrement pour s’opposer au paiement des retraites, tel par exemple le vieillissement de la population, ne tiennent pas. Un retraité sur deux aujourd’hui donne son temps aux associations pour préserver un sens à leur vie.  

  • Mais les retraites sont contradictoires avec le capitalisme mondialisé, au service exclusif duquel sont l’UE et ses institutions, qui préfère les fonds de pension, et qui produit le « chacun pour soi » au détriment de tout lien social.

Une vie décente pour tous, c’est l’eau, l’électricité, l’assainissement, les transports…. Une vie décente pour tous exige la renationalisation de ce qui est passé dans les mains d’actionnaires avides de dividendes.  

  • Mais cela est contradictoire avec le capitalisme mondialisé dont les intérêts sont défendus par les directives européennes au nom de la concurrence libre et non faussée.

A ce stade nous pouvons faire comprendre aisément je crois que l’UE n’est pas fondée pour assurer un projet économique, assurer une prétendue croissance, préserver du chômage, mais bien pour imposer un modèle politique : celui que l’ancien N°2 du Medef Denis Kessler, aujourd’hui un des patrons des compagnies d’assurance, exprimait en 2007 dans un article intitulé « Adieu 1945 » : la mise en compétition des hommes les uns avec les autres contre toute aspiration à vivre ensemble.  

  • Ainsi, une vie commune décente dans laquelle chacun peut préserver et développer l’estime de soi, le sens de sa propre dignité, où chacun est appelé à remplir ses devoirs sociaux et à faire valoir son mérite est contradictoire avec le capitalisme mondialisé, l’UE et les institutions à son service.  

b/ Remettre l’éducation au centre des priorités

L’école est l’institution républicaine par laquelle l’idée même de république s’est consolidée en France.

Depuis 150 ans, l’école existe comme instruction permettant de développer esprit critique et raison, comme éducation permettant la formation de chacun au cadre républicain commun, celui de la citoyenneté.

Depuis 50 ans nous assistons à une accélération des réformes liquidatrices des savoirs, des programmes, du goût de l’effort, de l’humilité pour apprendre, de la notion de mérite…

Une bonne réforme à venir serait notamment d’abroger toutes celles qui se sont succédées.  

  • Mais ce saccage organisé s’inscrit dans les objectifs du capitalisme mondialisé, de l’UE, de ses institutions, de l’OCDE dont certains textes, dans les années 1990-2000 indiquaient le but à atteindre : une éducation au rabais pour le plus grand nombre, peu coûteuse, une éducation améliorée, notamment dans le cadre privé, pour le petit nombre chargé d’encadrer les premiers.  

c/ Affirmer l’écologie comme une priorité majeure

Il s’agit simplement du problème de la vie, de la terre…

En partant de la question écologique, ce ne sont pas que les petites fleurs qui sont concernées, mais bien le mode de production qui est à mettre en cause, la recherche du profit sans limite, le gaspillage des ressources naturelles, bref c’est la question du passage du profit à la satisfaction des besoins humains qui est posée.

  • Mais cela est contradictoire avec le capitalisme mondialisé qui repose sur les seules préoccupations de produire, consommer, jeter, sacrifier…

La question agricole est un bon exemple avec l’installation des agros managers, des hommes d’affaires, en lieu et place des exploitations à taille humaine et des paysans qui se trouvent condamnés. Une agriculture de qualité, des familles pouvant vivre de leur travail, tout le monde en comprend l’exigence…  

  • Mais cela est contradictoire avec le capitalisme mondialisé…  

d/ Dégager les moyens de l’œuvre collective

Evidemment la question de la propriété est posée. En opposition à la propriété privée, il ne s’agit pas de répondre comme par le passé par les formules magiques du genre propriété collective généralisée. Nous pouvons répondre au souci majoritaire qui concerne, avec la question de la propriété de l’organisation de la société, de la place que chacun peut occuper. Il est possible d’articuler la propriété privée, la propriété collective et la propriété d’état.

La propriété du produit de son travail rentre la première catégorie, la propriété privée.

La séparation entre moyen de production et salariat n’est pas satisfaisante. Sous la forme coopérative des outils de production et des structures, elle permet de définir une forme de propriété collective.

Enfin ce qui relève des secteurs stratégiques mérite d’être nationalisé.  

  • Mais de toute évidence cela est contradictoire avec le capitalisme.

Un bon exemple est donné ces jours-ci par Alsthom avec l’exigence d’arrêt immédiat du plan de démantèlement de Belfort, l’exigence de la nationalisation, l’exigence d’arrêt des appels d’offre régis par l’UE.  

e/ Instaurer la démocratie à tous les étages

Il s’agit d’une démocratie laïque, égalitaire, fraternelle, libertaire. Depuis des années la confiscation de toute démocratie est ressentie et impose la nécessité de combattre pour imposer le pouvoir d’en bas, le pouvoir du peuple.

Au centre de cette question, la place des communes menacées par la succession de lois sur la décentralisation depuis les années 80, les régions, les communautés de communes, les métropoles, … ce mille-feuilles contradictoire à l’exercice de la démocratie. Avec les communes se pose la place menacée des départements. Communes, départements à défendre et préserver…  

  • Mais cela est contradictoire avec l’UE et l’Europe des régions, la mise en place de territoires censés permettre le développement de l’activité, des profits d’une part, de territoires déshérités et abandonnés, dignes des réserves d’indiens d’autre part.

Derrière cette question se trouve plus généralement celle de la possible régénérescence de la vie politique française.  

  • Mais cela est contradictoire avec le capitalisme mondialisé dont un des outils en France est la cinquième république bonapartiste. Contradictoire avec l’exigence d’une constituante pour une proportionnelle intégrale permettant la représentation de toute la nation.

  f/ La souveraineté et l’union des peuples.

Nous voilà au cœur du problème.

Il n’est pas besoin de s’étendre. L’Union Européenne pour s’opposer aux aspirations légitimes et aux intérêts des peuples n’est qu’une construction politique dont l’objet est la négation de la souveraineté populaire et nationale.

Un des moyens politiques dont se dote l’UE est la destruction des Nations avec les drames humanitaires qu’elle provoque et qui sous nos yeux ne peuvent aller qu’en se développant. 

Interdiction faite aux peuple de décider de leurs propres affaires et rejet dans la misère de centaines de milliers jetés sur les routes et sur les mers sont deux phénomènes étroitement liés.

La résolution de la question migratoire va s’imposer de fait comme une réalité incontournable. 

  • Mais cela est contradictoire avec le capitalisme mondialisé qui :

 

  •          Organise les guerres de pillage et met à genoux des pays entiers.
  •          Apporte son soutien à des dictateurs qui assument les basses œuvres.
  •           S’oppose à une politique qui permette un accueil humain et décent des populations jetées sur les routes et sur les mers.  

En conclusion :

Je voudrais revenir au point de départ, « quelles alliances pour démondialiser » ?

J’ai voulu montrer que seul au point de départ un programme accessible, compréhensible, partagé, peut permettre de quitter l’incantation pour entrer dans le monde de la persuasion.

Ce programme peut permettre de mettre en relation la situation réelle, les besoins, les solutions et donc l’impossibilité de concilier avec le capitalisme mondialisé et ses institutions que sont notamment l’UE, la commission, la BCE, l’OTAN, et l’outil du capital financier que constitue l’Euro.

Quelles alliances ? Existe-t-il une autre alliance susceptible de porter un tel programme qu’une nouvelle alliance populaire faite des hommes et des femmes qui s’empareront des éléments de ce programme ? Avec deux écueils à éviter, deux raccourcis qui ne peuvent apparaître que pour ce qu’ils sont. 

  • Chercher au nom de la rupture avec l’UE et l’euro des alliances de droite ou de gauche. Mais que signifie aujourd’hui ce clivage ? C’est le programme qui permet de trancher, pour entrainer vers la rupture avec le capitalisme mondialisé. Or admettons que ni « droite » ni « gauche » ne se réclame de mesures allant dans le sens indiqué précédemment. Une fois encore c’est le programme qui incarne la rupture nécessaire avec le capitalisme mondialisé, donc avec ses institutions, l’UE, l’Euro, etc…
  • Chercher avec la gauche de la gauche -sous prétexte que cela signifie plus à gauche- une alliance qui relève de la logique orwellienne. En effet, Jean Luc Mélenchon évoque la rupture avec les traités européens. Ce qui indiscutablement va dans le bon sens lorsqu’on a en souvenir tous les discours sur « l’Europe sociale ». Mais que signifie une telle volonté de « rupture avec les traités » si elle n’est accompagnée de sa conséquence logique, la rupture avec l’UE en tant que construction politique pour y substituer une union des nations libres choisissant de coopérer librement les unes avec les autres sur un sujet, un autre, ou plusieurs ?

Encore un effort Jean Luc…

Jean Luc Mélenchon a d’ailleurs indiqué ce qu’il fallait éviter. Beaucoup ont vu une bouée de sauvetage lorsqu’il a décidé de rompre avec le PS. Mais il a fallu déchanter. En une après-midi, la messe était dite, bonne pour ceux qui acceptaient le catéchisme, hostile aux autres. Il annonçait le nouveau nom « parti de gauche », il donnait la direction, il proclamait autour de lui le parti, sa nouvelle direction, et son programme. Cela sans démarche collective, sans discussion, sans possibilité dans la confrontation de rassembler plus largement, pour arriver à des formules creuses, trompeuses, fausses sur l’essentiel, l’UE et l’Euro et aboutir à une aventure personnelle calquée sur le fonctionnement des institutions de la 5ème république.

En réalité les alliances sont à construire. Un nouveau bloc est possible que seul l’intérêt collectif peut rassembler. Ces forces n’existent pas aujourd’hui de façon organisée, mais objectivement elles peuvent se révéler, là dans un référendum –le Brexit dernièrement- là dans un conflit donné –grèves, occupations, Goodyear par exemple- là dans un colloque où nous nous retrouvons de France notamment, le Pardem par exemple et « la sociale », à cette tribune.