L'hôpital public : situation et perspectives pour les usagers et le personnel.

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Hôpital public

 

Par Jean-Michel Toulouse, membre du Bureau politique du Pardem

Jean-Michel Toulouse est intervenu au CNAM lors des ateliers sur la démocratie en santé. Il a exposé un certain nombre de constats et de propositions sur la situation critique de l'hôpital public et les perspectives de réformes de fond qui peuvent être proposées aux personnels hospitaliers et aux usagers...

Je limiterai mon propos à l'hôpital public, sachant que ce que je vais vous dire peut être applicable à tous les établissements de santé, qu'ils soient MCO (médecine, chirurgie, obstétrique : terme utilisé pour désigner les activités aigües de courte durée réalisées dans les établissements de santé, en hospitalisation avec ou sans hébergement, ou en consultations externes), sociaux ou médico-sociaux.

Page 14 de son rapport - excellent rapport que je vous invite à méditer -, Marie-Aline Bloch nous dit : « Notre système de santé et d'accompagnement doit évoluer, muter , se transformer ». Je suis complètement en phase avec ce constat. Je serai bref sur la situation, tellement elle est connue, critique et préoccupante. Elle résulte de près de trente ans de "réformes".
Les réformes Juppé, ordonnances qui créent les Préfets de santé (ARH, Agences régionales de l’hospitalisation devenues plus tard ARS, Agences régionales de santé), er également les Projets de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), les COM, les Schémas régionaux d’organisation des soins (SROS), l'Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la santé (ANAES), qui deviendra la Haute autorité de santé (HAS. Plus tard, en décembre 2003, est mise en place la Tarification à l’activité (T2A), les Groupes homogènes de malades (GHM) issus des DRG (Diagnosis Related Groups) de Fetter aux États-Unis).

Le décor est planté pour tout ce qui va suivre :
- la loi HPST (Hôpital, patients, santé, territoires) dite loi Bachelot (21 juillet 2009),qui transforme les ARH en ARS en leur donnant le pouvoir sur la Sécurité Sociale, et qui met en place les Projets régionaux de santé (PRS), renforce les Commissions médicales d’établissement (CME), fait du directeur le seul « patron » de l'hôpital, formé au « New Public Management » (NPM) à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Rennes ;
- la « loi de modernisation de la Santé », dite loi Touraine du 27 janvier 2016, qui achève le dispositif de contrôle des hôpitaux par l'instauration des Groupements hospitaliers de territoire (GHT) et la structuration des territoires de santé. Chaque GHT doit mettre en place un Comité stratégique, une CME, une Commission de soins infirmiers rééducation et médico-technique (CSIRMT), une Commission des usagers (CDU) et une Conférence territoriale de dialogue social ;
- les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 suppriment les Comités techniques d’établissement (CTE), les Comités d’hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT) et les fusionnent dans un Comité social et économique (CSE). D'un seul coup, les organisations représentatives du personnel (ORP) sont divisées par deux...
J'arrête ici l'énumération car tout ce qui a suivi a confirmé le régime actuel sous réserve de modifications de détails. L'épidémie de COVID-19 a démontré où cela nous avait menés.

Impossibilité de réformer l'hôpital sans refondation d'ensemble

Peut-on en effet parler de « démocratie sanitaire » lorsqu'on examine le fonctionnement actuel de l'hôpital ?
1- Le Conseil de surveillance (CS) est enfermé dans une compétence d'attribution au bénéfice du directeur qui dispose, lui, d'une compétence générale. Notons entre autres, que le directeur « informe » le CS du budget qu'il prépare seul avec l'ARS.
2 - La CME délibère sur le projet médical et la nomination des médecins. Sur les autres points les décisions de la CME peuvent ne pas être suivies par les directeurs. En fait, chacun sait qu'un directeur ne peut prendre le risque de s'opposer frontalement à la communauté médicale...
3 - Le CSE qui regroupe 145 professions à l'hôpital n'a qu'un rôle consultatif. En cas de conflit durable sur l'organisation du travail, le directeur peut imposer son point de vue. On peut donc considérer que ce n'est pas le personnel qui décide de ses conditions de travail, de ses effectifs, de l'organisation du travail, mais l'État avec la réglementation nationale, l'ARS grâce à son autorité déconcentrée et le directeur puisqu'il est le « représentant légal » de l'hôpital.
4 - Le CHSCT n'existe plus et a été fusionné dans l'actuel CSE, strictement consultatif. Notons que le seul cas où le nouveau CSE peut imposer son avis, c'est quand il fait appel à un expert lorsqu'il estime qu'une organisation du travail ou une mesure d'hygiène ou de sécurité pose un problème de risque grave et imminent pour le personnel. Dans ce cas le directeur doit attendre le dépôt du rapport de l'expertise pour mettre la mesure en œuvre ou en changer.
5 - Le Directoire a hérité des compétences retirées au CS. Le personnel médical, pharmaceutique, maïeutique et odontologique y est majoritaire. Tous les documents importants doivent passer par le Directoire : projet d'Établissement, projet médical, contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), programme d'investissement, état des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD), organisation en pôles et contrats de pôle, etc. Notons que le personnel non médical est censé être représenté par le ou la directrice des soins, alors qu'il compose 89 % du personnel d'un hôpital...
6 - Le directeur est nommé certes par le CNG (Centre national de gestion des praticiens hospitaliers) et le Ministère mais après avis du directeur de l'ARS (je n'ai jamais vu un directeur être nommé contre l'avis de l'ARS...). Le Président du CS n'a qu'un avis consultatif. « Il conduit la politique générale de l'Établissement » (Art.L.6143.7 du Code de santé publique). Après consultation du Directoire et du CSE, sans être obligé de suivre leurs avis sauf sur certains sujets( projet médical et sécurité du  travail), en accord avec l'ARS, il fixe l'EPRD, négocie le CPOM, arrête le bilan social, détermine le programme d'investissement, le PGFPI, les tarifs de prestations non fixés par l'État, le plan Qualité. Il signe les contrats de pôles, arrête le Règlement intérieur, le Plan Blanc, arrête le compte financier, etc.
On voit donc que depuis une trentaine d'années il existe un glissement du pouvoir des ex conseils d'administration au profit du directeur.
Le verrouillage de l'institution hospitalière est donc total : par le haut avec les multiples contrôles : inspection générale des affaires sociales (IGAS), inspection générale des finances (IGF), ARS, HAS, Cour des comptes, Préfecture... et par le bas via le directeur qui dispose de larges pouvoirs en tant qu'autorité hiérarchique solide. Il est donc nécessaire de reprendre en sous-œuvre l'ensemble de l'édifice !

Pour une démocratie sanitaire réelle

Je pense que notre système de santé doit être totalement refondé et que les demi-mesures sont terminées. Ma pratique hospitalière de plus de quarante ans me conduit à faire les propositions suivantes :

1- Le Conseil d'administration (et non de « surveillance », il faut en finir avec la novlangue du NPM et de la « corporate governance »), doit être rétabli. L'hôpital public doit retrouver son statut d'Établissement public administratif (EPA) avec personnalité juridique et autonomie financière et rompre avec celui - de facto - de simple service extérieur de l'ARS. Le CA retrouvera aussi sa compétence générale et c'est le directeur qui n'aura plus qu'une compétence d'attribution. Quatre grandes forces doivent y être représentées : d'abord le personnel médical et non médical qui doit y avoir la majorité, les élus des collectivités territoriales, les représentants des usagers et enfin les représentants de la Sécurité Sociale, principal financeur de l'hôpital. Tous avec voix délibérative. Il devrait être présidé par un membre du personnel. Le comptable de l'hôpital participera aux séances et devra fournir à toutes les instances la documentation financière et comptable permettant de se faire une opinion sur la situation de l'hôpital.

2 - Il n'y a pas de raison particulière de maintenir une CME spécifique. Le « corps médical » ne représente que 11 % du personnel. Je propose donc la fusion du CSE et de la CME. Ce nouveau Comité d’Établissement (CE) aurait droit de véto sur toute décision engageant l'avenir de l'Établissement. En cas de désaccord persistant entre le CE et le directeur, c'est le CA qui tranchera. Ce CE serait présidé par un membre du personnel médical ou non médical par accord interne. Le CE pourra mettre en place des commissions de travail dont une commission médicale. Il aura toutes les compétences des actuels CME et CSE, sauf en matière de conditions de travail pour lesquelles le CHSCT sera rétabli.

3 - Le CHSCT serait réinstitué. Il retrouvera son droit de retrait et son droit d'alerte. Il pourra faire des recommandations aux CE et CA.

4 - Le Directoire pourrait être conservé mais remanié. Il est intéressant de conserver cette instance utile entre les cessions du CA. Il conservera ses compétences actuelles mais sa composition sera changée avec en tant que membres : le directeur, le président du CHSCT, le président du CE, le directeur des soins, et six membres du CE tirés au sort ou désignés par cette instance.

5 - La direction : les directeurs de toutes catégories devront être formés à l'EHESS qui devra être rattachée à l'Université. Le directeur devra recevoir une formation pluridisciplinaire de Service public et non plus sur le mode du NPM et encore moins du « lean management » car l'hôpital public n'est pas une entreprise ! Sa compétence sera d'attribution et il sera nommé par le Ministre après seul avis du Président du CA.
Tous les documents qui seront présentés au CA par la direction devront préalablement requérir l'avis du CE, du CHSCT et du Directoire.

6 - Je propose enfin la suppression de la T2A, le retour à des budgets négociés entre les Établissements et leurs tutelles, tenant compte des défauts du budget à prix de journée et du budget global et le retour aux Directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) et Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) simples administrations déconcentrées du Ministère, sans tutelle sur la Sécurité Sociale qui serait refondée. Je n'aborderai pas ce sujet ici et maintenant mais on peut en parler.

Nous considérons que sans ces réformes, nous ne serons pas en mesure de répondre aux besoins de santé des populations ni de le faire en rétablissant tant la confiance des personnels que celle  des usagers qui ont soif de reconnaissance. La démocratie sanitaire, c'est la « dimension inclusive » par excellence, c'est la part la plus importante de la « reconstruction institutionnelle » en matière de santé et c'est assurément le meilleur moyen d'établir le pouvoir d'agir, "l'agency" - l'agentivité - de toutes les parties prenantes de notre système de soins et en premier lieu celle du personnel et des usagers.

Jean-Michel Toulouse- Ancien directeur d'hôpital public, 14 juin 2023