La politique extérieure de Biden : impérial bonnet et bonnet impérial !

Par Joël Perichaud, secrétaire national du Parti de la démondialisation aux relations internationales

 

A la suite de notre publication sur la politique intérieure de Biden (https://www.pardem.org/index.php/trumpbiden-imperial-bonnet-et-bonnet-i…), voici le chapitre 2 à propos de la politique extérieure des Etats-Unis depuis l’arrivée au pouvoir de Biden.

L’affaire est pliée, c’est toujours « America first » !

Un exemple d’actualité : Joe Biden n’a pas levé le décret adopté par son prédécesseur visant à donner la priorité au marché américain pour les vaccins produits sur le territoire national et il refuse à Astra Zeneca d’exporter des doses de vaccin vers l’Europe, alors qu’il n’est pas utilisé sur le sol américain.

Les élites européennes risquent bien d’être déçues…

Il faut d’abord examiner les nominations faites par Biden. Au poste clé de secrétaire d’Etat (chef du département d’État - département chargé des Affaires étrangères), l’équivalent de notre ministre des Affaires étrangères, c’est Antony Blinken qui s’y colle. Ce n’est pas un inconnu, plutôt un vieux cheval de retour… De 2009 à 2013, il a été chargé de la sécurité nationale auprès du vice-président Biden, puis, entre 2013 et 2015, conseiller adjoint au Conseil de sécurité nationale sous la direction de la tristement célèbre Susan Rice, qui a notamment soutenu l'invasion de l'Irak en 2003 et la guerre contre la Libye en 2011. Blinken participe alors à l’élaboration de la politique américaine sur l'Afghanistan, le Pakistan et l’Iran. En 2002, il est favorable à l’invasion de l’Irak et en 2011 au bombardement de la Libye. Il est aussi pour une intervention en Syrie. En 2017, il approuve le bombardement de la base aérienne d'Al-Chaayrate, ordonné par Trump.

Bref, comme tous les « démocrates » américains, c’est un va-t-en-guerre récidiviste. Il sera secondé par Victoria Nuland comme sous-secrétaire d’Etat aux affaires politiques dont la nomination est aussi inquiétante. En effet, la numéro trois du département d’Etat, fidèle servante des présidents depuis 2003, a joué un rôle important dans l’invasion de l’Afghanistan puis de l’Irak et participé à la planification de la guerre contre la Libye. En 2014, sous-secrétaire d’Etat pour l’Europe et l’Eurasie, elle a activement favorisé le renversement du président ukrainien, Viktor Ianoukovytch, légitimement élu. Depuis, les néo-nazis du « régiment Azov » participent au pouvoir…

C’est à cette occasion qu’elle s’écria « Fuck EU » (rien à foutre de l’UE) pour montrer son agacement à l’égard des dirigeants européens, les jugeant trop mous dans le renversement de Ianoukovytch.

 Alors, quelle politique de Biden vis-à-vis de l’Union européenne ?

Si les relations seront plus policées (finis les Tweets à la Trump), la politique américaine restera axée sur la domination économique, le renforcement de la présence de l’OTAN et l’encerclement de la Russie. Des conflits politiques et commerciaux sont donc prévisibles.

Quelques mots en ce qui concerne plus particulièrement l’Allemagne.

Les soldats des Etats-Unis sont dans ce pays depuis la défaite du IIIe Reich, passant de 200 000 en 1990 à 34 500 aujourd’hui. Donald Trump voulait en rapatrier 6 400 aux États-Unis et en repositionner 5 600 dans d’autres pays de l’OTAN notamment, en Italie et Belgique. Le commandement militaire américain en Europe (Eucom), actuellement basé à Stuttgart, devait déménager à Mons (Belgique). Mais l’OTAN a d’autres projets. Durcir l’encerclement de la Russie désignée comme ennemie et empêcher toute défense souveraine des pays membres de l’UE. A la grande joie de Merkel, Biden a donc confirmé qu’il allait « stopper » le retrait partiel des troupes américaines d’Allemagne et maintenir les bases américaines. Le « réexamen global de la posture » des forces déployées à l’étranger est confié au ministre de la Défense, Lloyd Austin.

Hors UE, mais sur le continent européen, le cas particulier de la Turquie.

Pour punir Erdogan de l’acquisition des missiles russes S-400, Trump avait exclu la Turquie du juteux programme de fabrication de l’avion furtif F-35. De plus, Washington avait interdit l’attribution de tout permis d’exportation d’armes au SSB, l’agence gouvernementale turque en charge des achats militaires. Biden veut que la Turquie renonce aux missiles russes S-400, maintenant ainsi la position de l’administration Trump. « Notre position n’a pas changé », a déclaré le porte-parole du Pentagone, John Kirby, « Nous appelons la Turquie à renoncer au système S-400 ».

Quelle politique au Moyen-Orient ?

Biden n’est pas dans une rupture totale par rapport aux choix politiques de Trump.

La période Trump a illustré, une nouvelle fois, qu’une pluralité de conseillers interviennent dans ce domaine et que les opinions ne sont pas unanimes en matière de politique étrangère. Les nominations de Tony Blinken au département d’État, de Jake Sullivan à la direction de la Sécurité nationale et d’Avril Haines à la tête du renseignement national (tous proches collaborateurs de Biden) laissent penser que la tendance de la politique américaine dans la région sera en phase avec les déclarations d’intention de Joe Biden et de Kamala Harris.

Sur le dossier israélo-palestinien, Biden ne remettra pas en cause les « acquis » de la politique du fait accompli de Trump, qu’il s’agisse du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem ou de la reconnaissance de l’annexion par Israël du plateau du Golan. En effet, Kamala Harris est vivement pro-israélienne et très proche de l’American Israel Public Affairs Committee, groupe de pression défendant les intérêts de la droite dure israélienne. Elle a d'ailleurs réaffirmé l’engagement de Biden à maintenir un « soutien inconditionnel à Israël » et à garantir sa « supériorité militaire qualitative ». Kamala Harris a milité au sein du Jewish National Fund, organisation-sœur américaine du Keren Kayemeth LeIsrael (KKL), association israélienne en charge de planter des arbres sur les ruines des villages palestiniens et engagée pour l’expulsion des familles palestiniennes de Jérusalem-Est. Lors du mandat Biden-Harris, la défense des intérêts sécuritaires d’Israël sera une priorité de Washington, aux dépends d’une juste résolution de la question palestinienne.

Biden ne reviendra donc pas sur les décisions de Trump et continuera à soutenir Nétanyahou. Mais, pour éventuellement « coller » avec la position du Parti démocrate, il pourrait peut-être réouvrir le consulat américain à Jérusalem-Est, participer à nouveau au budget de l'agence de secours des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) et affirmer son soutien à l’Autorité palestinienne… Tout en maintenant la coopération sécuritaire et le soutien inconditionnel de l’aide militaire américaine à Israël.

Morton Halperin, président du groupe JStreet, qui promeut une politique américaine pour l'achèvement du conflit israélo-palestinien de manière diplomatique et pacifique et qui se dit « bras politique du mouvement pour Israël et pour la paix », reconnaît que le « retour à une approche équilibrée sur Israël » ne figure pas dans les priorités de Biden. Derrière le discours en trompe-l’œil sur la solution des deux États, toutes les administrations américaines successives ont cautionné la politique du fait accompli et exercé des pressions sur la partie palestinienne pour l’amener à négocier dans les conditions les plus désavantageuses. 

Concernant les relations avec l’Iran, Biden s’inscrit dans la continuité de Barack Obama. Selon les démocrates, pour contrer la montée en puissance de la Chine, il est nécessaire d’atténuer les tensions avec Téhéran. Or une reprise des relations américano-iraniennes implique le retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire de 2015 sans le renégocier pour y inclure des restrictions sur le programme balistique iranien. Bref, un simple retour à la situation précédente. A ce stade, il faut rappeler que lorsque les USA ont signé à Vienne (Autriche) le 14 juillet 2015, l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, Joint Comprehensive Plan of Action ou JCPoA (Plan d’action global commun-PAGC), l’Iran était affaibli par les sanctions décrétées par Washington et appliquées par tous les pays qui lui sont inféodés, ostracisé par la presse internationale aux ordres et acculé en Syrie. Israël en profite pour lancer des « Operations between Wars » (campagne militaire entre les deux guerres) et mène, selon l’ancien chef d’état-major interarmées israélien Gadi Ezeinkot, « des milliers d’attaques » contre les Iraniens en Syrie, sans résultat probant. Dès lors, il est donc peu plausible que l’administration accepte un simple retour à l’accord de 2015.   

Concernant l’Arabie saoudite et les Émirats, la différence est claire entre Trump et Biden. Tandis que Trump avait visité Riyad immédiatement après son élection, Biden a, dans une critique appuyée durant sa campagne, qualifié l’Arabie saoudite « d'État-paria ». Une petite vengeance car les Saoudiens et les Émiratis avaient financé la campagne de Trump en 2016 et ne voulaient pas entendre parler d’Obama qui avait lâché Moubarak et Ben Ali, pourtant alliés des USA, accepté les Frères musulmans, et se déclarait prêt à discuter avec l’Iran. Le contexte stratégique a conduit l’Arabie saoudite à développer ses liens avec Moscou et Pékin, principaux concurrents des États-Unis, et pourrait ouvrir la voie à une diversification des partenariats. En réalité, même si Biden reproche au prince saoudien Mohamed Ben Salman ses positions belliqueuses et la guerre au Yémen, le partenariat stratégique avec Riyad, révélateur des intérêts du complexe militaro-industriel US et sa prédominance dans la politique étrangère américaine, sera maintenu.

Irak: Biden était partisan de l’intervention US en 2003 et l’instigateur d’un plan pour la partition du pays en trois États. Mauvaise idée. Aujourd’hui, même si l’Irak est un pion important de la stratégie américaine pour « endiguer » la puissance chinoise, un désengagement militaire de la région est inéluctable. Toujours affirmée et reportée par Trump, cette décision n’a jamais été prise de peur que le vide laissé par un retrait américain ne soit comblé par l’Iran. Avant de négocier avec l’Iran, les Américains veulent conserver une capacité de nuisance y compris au sein de la Marjaïya (assemblée des Marjaa, oulémas, la plus haute autorité religieuse chiite) pour contrer l’influence iranienne.

Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, cette autorité a un rôle prépondérant au sein de la communauté chiite irakienne. Déjà en 2004, elle s’opposait à la lutte armée contre la présence américaine et c’est sur pression de la Marjaïya que les USA ont accepté la tenue d’élections législatives en 2005. En 2014, lors de l’offensive de Daesh sur Mossoul, cette autorité avait émis une fatwa sur le « djihad défensif » qui a conduit un million de chiites à se porter volontaires pour combattre le pseudo état islamique.

La position de Biden sur la Syrie reste floue mais les États-Unis veulent diminuer l’influence de l’Iran pour négocier avec Damas. Mais, jusqu’à présent, la bataille menée par Trump pour affaiblir le potentiel militaire de Téhéran a été un échec patent. L’offensive se poursuivra donc sous Biden. L’administration Biden ne reviendra pas sur la loi "César", instrument principal de lutte contre le régime Syrien. Entrée en vigueur le 17 juin 2020, promulguée par Trump en décembre 2019, elle devrait s’appliquer jusqu’en décembre 2024. Certes elle impose des sanctions au régime syrien, mais, surtout, à toute personne, société, institution ou tout gouvernement qui commerce  avec le pouvoir de Damas ou contribue à la reconstruction de la Syrie. Bref, comme toutes les « sanctions » décidées unilatéralement par les Etats-Unis, c’est d’abord et surtout le peuple syrien qui souffre, et les entreprises non étatsuniennes qui sont pénalisées.

Vis-à-vis du Liban, la ligne adoptée par Trump se résumait à « étrangler le Liban pour étrangler le Hezbollah », mais cette politique s’est avérée totalement inefficace et même pire car les sanctions ont plutôt affaibli les partis qui s’opposent au Hezbollah chiite et à l’Iran. Biden pourrait revenir à une politique de pression plus ciblée contre le Hezbollah, même s’il est encore trop tôt pour connaître la politique concrète qui sera mise en œuvre.

Quelle politique en Amérique latine ?

Les gouvernements étatsuniens ont toujours considéré l’Amérique latine comme leur « arrière-cour ». Niant toute liberté démocratique des peuples, les Etats-Unis ont fomenté des coups d’État, installé et soutenu des dictatures sanglantes (Chili etc.), organisé des assassinats et manipulé d’innombrables marionnettes à leur entière dévotion. Biden, président des multinationales et du complexe militaro-industriel étatsunien, ne fait bien sûr pas exception.

Sur le Venezuela : Comme Trump, Biden a réaffirmé que les États-Unis reconnaissaient Juan Guaido - leur créature pourtant usée - comme président « légitime » du Venezuela, et a exclu toute négociations avec Nicolas Maduro, qu'il a qualifié de « dictateur ».

L’administration démocrate continue d’appeler à la tenue d'élections libres et équitables au Venezuela, alors que la réélection de Nicolas Maduro à la présidence en 2018 a été considérée comme légitime et légale par de nombreux pays à travers le monde. Reprenant la vieille ritournelle de Trump, Edward "Ned" Price, porte-parole du département d'Etat américain, a déclaré que l'un des principaux objectifs serait de « cibler des représentants du régime et leurs acolytes impliqués dans des faits de corruption et des violations des droits de l’homme ».

Ces propos confirmaient déjà que Biden allait poursuivre la campagne de sanctions engagée par Trump. Depuis le 2 mars, c’est chose faite : Biden a prolongé d'un an le décret 13.692 du 8 mars 2015, par lequel Obama décrétait que le Venezuela représentait « une menace inhabituelle et extraordinaire » pour la sécurité des États-Unis. Ces mesures et la désignation de Guaido n’ont pourtant pas atteint leur objectif : chasser Nicolas Maduro du pouvoir.

A propos de Cuba : On ne peut pas comprendre la politique étatsunienne envers Cuba si on oublie le poids électoral des 29 grands électeurs de Floride. Il explique en partie, sans le justifier ni l’excuser, pourquoi perdure depuis bientôt soixante ans l’embargo économique. Mais à cette raison politique interne s’ajoute le combat contre le socialisme et contre la démocratie.

Biden, sans être révolutionnaire, avait annoncé pendant sa campagne qu’il allait revenir sur les mesures de restrictions des voyages et des envois d’argent prises par Trump. Ces déclarations lui ont coûté la Floride. Ajoutons qu’à son peu de volonté d’en finir avec cet embargo criminel, la faible majorité dont dispose Biden à la Chambre des représentants et au Sénat qui sera un bon prétexte pour rendre impossible la fin de l’embargo. D’autant plus que plusieurs élus démocrates s’opposent à tout changement d’attitude envers Cuba. Rien de nouveau puisque la loi Helms-Burton de 1996, qui aggrave les sanctions en cas de violation de l’embargo, porte les noms d’un démocrate et d’un républicain bloquant la possibilité pour le président de revenir sur les sanctions économiques sans l’accord du Congrès.

Historiquement, républicains et démocrates confondus, outre plus d’une trentaine de tentatives d’assassinat de Fidel Castro par la CIA, ont tenté plusieurs politiques pour chasser le gouvernement populaire légitime de Cuba. La première consistait à aider financièrement la dissidence interne, extrêmement minoritaire, à se développer. Échec. Obama a tenté de renforcer les classes moyennes et le secteur privé, dans l’idée que cela affaiblirait le pouvoir en suscitant une attirance pour le mode de vie nord-américain. Échec. Trump a durci les sanctions afin de provoquer un mécontentement populaire censé déboucher sur la chute du régime. Échec.

Biden tentera vraisemblablement de ressusciter le délire d’Obama : faire croire au rêve américain. 

Échec et mat ?

Et vis à vis de la Chine ?

Biden affirme que la « domination américaine » (leadership) doit « affronter la montée de l’autoritarisme, notamment les ambitions croissantes de la Chine pour rivaliser avec les USA».

En appui à ces propos, l’administration américaine a détaillé, dans un document de 24 pages, les priorités de sécurité nationale de Biden vis à vis de Pékin : « Il s'agit du seul concurrent potentiellement capable de combiner pouvoirs économique, diplomatique, militaire et technologique pour constituer un défi prolongé à l'égard d'un système international stable et ouvert ». En fait, les dépendances économiques réciproques, la grande partie de la dette américaine (en dollars) détenue par la Chine, contraignent Biden à modérer son langage. Mais les « nouvelles routes de la soie », les conflits larvés et les coups de force de Pékin vis-à-vis du Japon et dans la mer de Chine, la conquête spatiale et l’avance technologique chinoise peuvent pousser l’administration Biden et son complexe militaro-industriel à des conflits ouverts.

Biden a remplacé le slogan de Trump "Make America great again" par "America is back" mais c’est toujours "America first" !