Australie : Biden roule en Quad !

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Quad Aukus

 

par Joël Perichaud, Secrétaire national du Parti de la démondialisation aux relations internationales

L’annulation par l’Australie de l’accord d’achat de douze sous-marins français a enflammé le monde politico-médiatique : “camouflet”, “humiliation”, “trahison”, “coup dans le dos”, “perte de confiance”, “portée économique lourde”, « indemnisation”, etc. Mais, comme prévu par Biden, qui roule en Quad et en Aukus, aucune réaction sérieuse ni du gouvernement Macron ni des “alliés européens” de la France ne s’est produite. La Macronie a juste boudé 5 jours (17-22 septembre) ce qui s’est traduit par le geste symbolique du rappel des ambassadeurs. Tout est bien sûr rentré rapidement dans l’ordre et la Macronie dans le rang. Pas une tête ne dépasse derrière l’impériale puissance. D'ailleurs la messe est dite : l'Union européenne vient de clore le dossier. Josep Borrell,  le chef de la diplomatie européenne, "a affiché vendredi 15 octobre à Washington sa volonté de tourner la page de la crise franco-américaine qui avait refroidi les relations entre les Etats-Unis et Bruxelles, saluant une coopération transatlantique renforcée." (AFP, 15 octobre 2021).

Tout est fait pour masquer la stratégie géopolitique des USA, de l’OTAN et des supplétifs, qu’ils soient européens (la pseudo-Union), australiens ou asiatiques (Japon, Inde). Mais aujourd’hui, le vaudeville (comédie légère, amusante et vive, fondée sur l'intrigue et le quiproquo, mêlée de couplets sur un air connu et populaire…) est terminé. Il est temps d’analyser et de comprendre les enjeux réels de la décision australienne, dictée par Biden.
Pour cela, il faut évacuer le flot de morale et de bien-pensance déversé par les médias aux ordres. Retour à la politique.

Reconstituer le puzzle…

Les dernières semaines, l’empire américain a annoncé une série de mesures qu’il faut relier entre elles et qui convergent vers l'instauration d’une logique de nouvelle guerre froide, principalement avec la Chine.
La pointe émergée de la campagne de communication a été la décision, pourtant prévisible, de l’Australie d’annuler la commande de 56 milliards d'euros pour douze sous-marins français. Rappelons d’emblée les enjeux de ce “contrat du siècle” signé en décembre 2016. La France devait doter l’Australie de sous-marins Barracuda à propulsion diesel-électrique, engageant Naval Group sur une durée de 25 ans.
Il s’agissait pour le gouvernement “socialiste” de Manuel Valls (Jean-Yves Le Drian en était le ministre de la Défense…) de développer un partenariat avec la nation la plus importante du Pacifique-Sud, pour sceller une entente « étroite et durable », renforçant le maillage diplomatique, stratégique et militaire français dans l’espace indo-pacifique très convoité. Pour mémoire, 500 000 Français vivent dans la région (dont 270 000 en Nouvelle-Calédonie) et l’armée française y est très présente.
Ce plan pouvait paraître judicieux car il proposait une troisième voie diplomatique pour la région, (la libération de “l’étau sino-américain”) et donnait une force de projection inédite à la France (et à l’UE) dans la zone indo-pacifique. Les socialistes, tout à leur enthousiasme néolibéral et à leur amour des USA, avaient pensé que “l’allié” américain, en fait le véritable maitre du jeu, laisserait faire… C’était méconnaitre l’histoire… et les “alliés”…
L’Australie, bien qu’étant une monarchie constitutionnelle, dont le chef d’État est Élisabeth II, reine du Royaume-Uni et faisant partie du Commonwealth, est contrôlée et surveillée depuis 1945
par les États-Unis. Les USA disposent, en effet, d’un réseau de bases militaires dans toute la région (1), y ont des territoires en propre (Baker Island, Howland Island, Jarvis Island, Kingman Reef et Palmyra Atoll), un protectorat (depuis un accord international de 1986 - Traité de libre-association - Compact of Free Association) et un État de leur fédération (l’archipel d’Hawaï, dont l’ile d’Oahu héberge la base aéronavale de Pearl Harbor, site névralgique pour les USA en Asie-Pacifique).
Cette mainmise des USA sur l’Australie est renforcée par le changement de la politique américaine et de l’OTAN qui considèrent que leur nouvel ennemi, la Chine, mérite de leur part un peu plus de vigilance que la Russie qu’ils ont déjà “neutralisée”. L’encerclement de la Russie par l’OTAN est, en effet, pratiquement terminé alors que la République populaire de Chine (RPC) est difficile à “contenir” : elle devient la première puissance économique et sa stratégie des “routes de la soie” est en plein développement. Une horreur… C’est donc peu de dire que l’empire américain tient à sa domination dans la région. Et par tous les moyens.

… Et l’image apparaît

Dans ce combat de Titans (USA/RPC), les intérêts des autres nations n’ont pas leur place. La seule qu’ils peuvent mendier, espérant en tirer de petits bénéfices, est celle de supplétifs.

La décision, à peine forcée, de l’Australie d’annuler la commande des sous-marins français est alors cohérente, compréhensible et était prévisible… Car cette décision n’est pas fondée sur une dimension morale ou commerciale, mais sur des raisons pleinement et purement politiques.
Elle est avant tout un choix militaire car les sous-marins américains, contrairement aux sous-marins français, sont dotés d'une propulsion nucléaire leur permettant, sans faire surface, d'aller jusqu’en Mer de Chine, lieu stratégique du trafic international de marchandises. Plus de la moitié du commerce maritime mondial transite chaque année par la Mer de Chine qui est particulièrement riche en matières premières sous-marines (réserves estimées à 11 milliards de barils de pétrole et à plus de 5 milliards de mètre-cubes de gaz). Contrôler la région c’est contrôler les ressources et empêcher la RPC d’y accéder.
D’ailleurs Biden a relancé, le 24 septembre, le « Dialogue quadrilatéral pour la  sécurité » (Quadrilateral Security Dialogue) appelé “Quad”, mis en place en 2007, qui réunit les États-Unis, le Japon, l’Inde, et l’Australie. Cette alliance pour contrer la Chine, après une vaste tournée où le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo (Gouvernement Trump), en Asie (Inde, Sri-Lanka, Maldives, Indonésie et Vietnam) a chanté partout son mantra : la défense d’un « indo-pacifique libre et ouvert ». Il a organisé, en novembre 2020, les premières manœuvres tactiques des quatre forces navales du Quad dans le golfe du Bengale (exercices « Malabar »).
Au-delà de la sécurité, le Quad agrège des thématiques multiples (technologies, environnement, ressources halieutiques, etc.) et d’autres États. La Macronie, par la voix de Florence Parly, ministre des Armées, s’y est ralliée « en voisine », faisant valoir les territoires français d’outre-mer et leur gigantesque zone économique exclusive (ZEE), la 2e mondiale. L’Allemagne a aussi publié, début septembre, les lignes directrices de son action dans cette région décrite comme « la clé de la configuration de l’ordre international au XXIe siècle ». Pas étonnant que ThyssenKrupp Marine Systems (principal concurrent européen de Naval Group dans le secteur des navires militaires) ait tout fait pour torpiller le contrat France/ Australie sur les sous-marins…Vous disiez ? Union européenne ? Défense européenne ?…

Quad et Aukus : l’Amérique impérialiste est toujours là

Le Quad, une alliance qui se définit comme une plateforme de collaboration économique dans des domaines relevant de la sécurité dans la région, est en fait un outil de guerre économique dans la région pour isoler la Chine. Elle fonctionne en synchronisation avec l’Aukus, alliance militaire. Et il faut y ajouter une troisième initiative étasunienne, annoncée unilatéralement fin août, qui est la convocation d’un “sommet des démocraties” les 9 et 10 décembre prochains. Ce sommet, annoncé comme devant réunir une douzaine de puissances dites démocratiques a un triple objectif fixé par Biden : lutter contre l’autoritarisme, combattre la corruption et promouvoir le respect des droits humains.
C’est aujourd’hui la même logique et la même propagande que celle de la guerre froide qui prétendait opposer les démocraties au totalitarisme communiste. Comme à l’époque, c’est la création d’un cadre institutionnel militaire permettant de passer immédiatement de la guerre froide à la guerre “chaude” (au conflit armé) si les intérêts américains l’exigent en contournant les Nations Unies dans le règlement des conflits internationaux. La logique est simple, voire simpliste, et maintes fois utilisée par les USA : fragmenter le monde en deux blocs opposés et comme jadis, justifier à l’avance des guerres futures en préparant l'opinion publique sur les thèmes de défense de la démocratie, de la lutte contre la corruption et du respect des droits humains.
Comme si la mise en place par l’OTAN d'un bouclier antimissile autour de la frontière orientale de la Russie, en Pologne et en Roumanie, ainsi que l’ouverture de nouvelles bases aériennes en Estonie et en Lituanie avaient quelque chose à voir avec la défense des droits de l’Homme !
Cette nouvelle guerre froide menée par les USA, l’OTAN, le Quad, l’Aukus et leurs supplétifs menacent en réalité la paix mondiale. Et le gouvernement français bêle au sein du troupeau !

Note
1- La zone de responsabilité (AOR) du Commandement indo-pacifique des États-Unis (USINDOPACOM) englobe environ la moitié de la surface de la terre, s'étendant des eaux au large de la côte ouest des États-Unis jusqu'à la frontière ouest de l'Inde, et de l'Antarctique au pôle Nord. Environ 375 000 militaires et civils américains y sont affectés. La flotte du Pacifique se compose d'environ 200 navires (dont des porte-avions), de près de 1 100 avions et de plus de 130 000 marins et civils. Le Corps des Marines Pacifique, comprend deux forces expéditionnaires maritimes, environ 86 000 membres et 640 aéronefs. Les Forces aériennes du Pacifique comprennent environ 46 000 aviateurs et civils et plus de 420 aéronefs. USA Army Pacific compte environ 106 000 personnes, plus de 300 avions affectés dans toute la région de responsabilité (Japon, Corée, l’Alaska, Hawaï). Il y a plus de 1 200 membres des force des opérations spéciales. Les employés civils du ministère de la Défense du Commandement indo-pacifique AOR sont environ 38 000.