UE/USA : le TTC ressuscite le TAFTA

Image
USA et Union européenne

 

Par Joël Perichaud, Secrétaire national du Pardem aux relations internationales

Feu le TAFTA, vive le TTC… Les noms changent, les objectifs demeurent. L’information est pourtant passée inaperçue. Les États-Unis et l'Union européenne (UE) ont créé, en 2021, le « Trade and Technology Council », le Conseil du commerce et des technologies, destiné à « coordonner les approches européenne et américaine sur les enjeux clés du commerce, de l'économie et de la technologie ». Présenté comme un forum, il s’agit en réalité d’un organe créé dans les coulisses de l’UE au service de la coopération transatlantique. La nouvelle saison de la tragi-comédie est déjà dans la boîte. A vous d’en deviner l’épilogue.

C'est un secret de polichinelle : les déclarations enflammées d’Emmanuel Macron sur « l'autonomie stratégique européenne » ne pèsent pas lourd face à l'injonction des institutions européennes (Commission européenne notamment), de privilégier l'alliance entre les États-Unis et l’UE. L'OTAN en est la courroie de transmission par excellence mais la « coopération transatlantique » concerne tous les sujets.
À cette fin, les États-Unis et l'UE (Charles Michel et Ursula von der Leyen ) ont créé le Trade and Technology Council (TTC, Conseil du commerce et des technologies) à Bruxelles en juin 2021. Présenté comme un simple forum, le TTC traite pourtant de questions décisives dans l’obscurité totale. Sous le prétexte de « coordonner les approches européenne et américaine sur les enjeux clés du commerce, de l'économie et de la technologie », le TTC est en réalité un organe institutionnel de l’UE où se discute, en coulisses, l’assujettissement de l’industrie et du commerce des membres de l’UE aux USA. Cela s’opère via dix “groupes de travail” : standards technologiques, “clean techs” (techniques et services industriels utilisant les ressources naturelles), chaînes d'approvisionnement, TIC (Technologies de l'information et de la communication), gouvernance des données, usages technologiques impactant les droits et la sécurité, contrôle des exportations, filtrage des investissements étrangers, accès des PME aux technologies et défis du commerce mondial.

Une position “commune” issue des groupes de travail deviendra un  accord commercial

À la lecture de ces intitulés, il est évident que l'autonomie législative européenne est une pure fiction. Le TTC a, en effet, été créé au moment même où étaient examinés les règlements sur le marché numérique (DMA) et sur les services numériques (DSA), fortement contestés par les GAFAM. La mission des groupes de travail “gouvernance des données” et “TIC” a abouti à une “approche commune” où les intérêts américains ont pris le dessus…
Mais nos “alliés” ne veulent pas seulement imposer leurs vues sur la régulation des géants du numérique. Ils ont aussi décidé de capter le maximum de « clean techs » (batteries, véhicules électriques…) en budgétant 370 milliards de dollars de subventions exclusivement réservées aux productions made in USA après le vote de l'Inflation Reduction Act (IRA) américain… Le TTC n’a, bien sûr, pas réagi.

Dans les faits, toute position “commune” qui sortirait des pseudos groupes de travail deviendra un  accord commercial. C’est ce qu’a dit devant le parlement européen, le Commissaire au Commerce international, M. Dombrovskis : « Le TTC est un cadre de coopération qui permet d'agir sur des mesures juridiques ».
La Commission européenne (CE) a beau le nier, elle ressuscite, en contournant l’opinion publique,  le projet d'accord de libre-échange UE-USA, le TAFTA, auquel les peuples se sont opposés et qui fut enterré provisoirement, le 9 avril 2019 par le Conseil européen. On pourrait rétorquer que la CE négocie des accords de libre-échange avec le Mercosur, le Mexique, l'Inde, l'Australie etc., alors pourquoi pas avec les États-Unis ? Tout simplement parce qu'elle n'en a pas le mandat et qu’aucun acte communautaire ne l'y autorise. En effet, l’article 207 du Traité est clair : Après avoir énuméré les matières relevant des accords commerciaux (auxquelles tous les groupes de travail du TTC appartiennent), il oblige la Commission à formuler une recommandation puis les États membres à émettre un mandat de négociation. Or rien de tout cela n'a été fait. La Commission a violé, une fois de plus, les Traités dont elle est censée être la gardienne.
Le « Trade and Technology Council » est une création américano-européenne pour contourner les peuples et les nations et n’’a aucun fondement juridique. Si l’UE souhaite ressusciter le TAFTA, qu'elle l'assume au grand jour… Nous sommes prêts !

Mais, n’oublions jamais que l’UE est connue pour son art de contorsionniste et son acharnement à remettre mille fois sur le métier ce qu’elle n’a pas obtenu en une fois. Dixit le non au TCE rebaptisé Traité de Lisbonne ou encore la Directive Bolkestein renommée Directive services.
Bref, elle parvient toujours à ses fins et les oppositions politiques et syndicales finissent par lâcher l’affaire, déjà mobilisés sur autre chose et peu enclins à engager une bataille frontale avec l’Union européenne. Hélas !