Luttes populaires en France - Intervention d'Yves Rouillé

Intervention d'Yves Rouillé, ancien dirigeant syndical CGT à la Conférence internationale organisée par la coordination européenne anti-euro "Que faire après l’Union européenne ?" à Chianciano Terme (Italie), 16-18 septembre 2016

Table ronde N°5 - Samedi 17 septembre - 09:30 à 12:30
Thème « France: Les alliances pour démondialiser » avec les interventions de :

Jacques Cotta, cinéaste, journaliste (France télévision), auteur et fondateur du site internet « la sociale », Michèle Dessenne, vice-présidente du Parti de la démondialisation (Pardem), Joël Perichaud, relations internationales du Parti de la démondialisation (Pardem)

Le constat :

Depuis la fin des années 1970, pour ce qui concerne les luttes touchant la grande majorité des salariés : celles qui formatent la société, toutes sont en réactions à des attaques des différents Gouvernements en relation de proximité avec le Grand Patronat (MEDEF).

C’est à dire que le cahier de revendications est exclusivement celui des patrons avec l’aide de la social-démocratie qui est parfois au gouvernement comme dans les années 80. Bien sûr les néolibéraux prennent leur part dans ces attaques contre le monde du travail mais, ils sont largement aidés par la montée du parti socialiste. Il s’agit donc de détricoter les différents conquis des années d’après guerre.

Pendant les 30 glorieuses, dont mai 68 fait partie, les luttes sont essentiellement menées par le syndicat de classe et de masse qu’était la CGT avec l’appui d’un fort parti communiste. C’est une époque ou le réformisme, la social-démocratie sont relativement faibles.

Après 1974, inversion du mouvement : C’est le début des fermetures des hauts fourneaux dans le nord de la France. Le chômage prend de l’extension, les délocalisations commencent. Le néolibéralisme prend le dessus avec l’aide du syndicat réformiste CFDT. Le dialogue social prend le pas sur la lutte des classes. Un homme joue un rôle prépondérant, étant lui-même membre de la CFDT et du Parti socialiste : c’est Jacques DELORS que l’on retrouve plus tard dirigeant de l’UE et promoteur de l’Acte Unique Européen. Nous sommes en 1986.

La grande nouveauté des années 1995-1999, c’est l’évolution vers la social-démocratie de la CGT qui aboutit à l’adhésion de celle-ci à la Confédération Européenne des syndicats (CES). Une partie importante des militants sont en désaccords et une autre partie quitte simplement le mouvement syndical. Cela aboutit à une désorganisation et une perte d’éléments actifs très importantes.

Parallèlement, le parti communiste est entré au gouvernement du socialiste JOSPIN et ce gouvernement a privatisé beaucoup d’entreprises. Le PCF est lui aussi aspiré par ce mouvement qui l’emmènera vers les bas-fonds dans lesquels il se trouve aujourd’hui. 1989, n’est pas étranger à cette évolution

J’ai personnellement vu à ce moment là, des dirigeants de la CGT passer de l’autre coté de la barrière et signer sans état d’âme dans mon entreprise :
La mise en place des 35 heures.
Le retour du travail le samedi matin et jusqu'à 19 heures le soir.
Des embauches (sans aucune précision).
Et surtout la baisse de la masse salariale.

Depuis cette époque, les syndicats tentent systématiquement de se mettre d’accord pour faire l’union ce qui se traduit par une grève tous les quinze jours qui bien sûr ne fait bouger ni le patronat, ni le gouvernement. Il suffit d’attendre quelques temps pour que le mouvement faiblisse et le gouvernement avec une extrême obligeance envers le patronat passe en force quand le gouvernement ne trouve pas de majorité au parlement pour voter ces lois. C’est précisément ce qui se passe avec la loi EL KHOMERI en ce moment.

Il y a aujourd’hui 8% de syndiqués en France. C’est l’un des taux les plus bas des pays environnants ce qui pose forcément des problèmes d’ordre représentatifs mais aussi, il ne faut pas le négliger, d’ordre financier.
Si l’évolution est naturelle, il n’était pas obligatoirement écrit que le syndicalisme Français glisse dans son ensemble vers le « compromis et le dialogue social ».

Il est un autre chemin ou les contradictions s’expriment pleinement entre le capital et le travail et où le compromis n’intervient qu’ensuite. C’est une toute autre démarche que de rechercher le « dialogue social ».

Mais, c’était sans compter sur la montée en puissance de l’UE et de son organisation syndicale ; je veux parler de la CES.
Son unique rôle a été de mettre en place un syndicalisme européen sur des bases exclusivement réformiste. Tant que la CGT n’a pas fait allégeance, pas question d’entrer à la CES. Le plus triste, c’est qu’elle ait fait allégeance ce qui n’a pas manqué de conduire au désastre dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui.

La CES, une organisation dépendante.

La CES n’est pas le fruit de relations de travail ou de pratiques d’entraides préalables entre les ouvriers des différents pays, ni de regroupements de fédérations professionnelles ou de structures locales mais une construction par le « haut » à la suite d’accords entre dirigeants syndicaux. Le syndicalisme européen résulte directement de la construction européenne.

Ce qui rythme la vie de la CES, ce sont les exigences du dialogue social. Le bréviaire officiel de l’organisation explique d’ailleurs que « l’évolution de la CES ne relève pas de la lutte des classes mais de l’institutionnalisation de la politique européenne.

En fait, étudier la réalité de la CES nous permet de penser l’aboutissement du processus actuellement en cours partout, d’intégration du mouvement ouvrier européen. Cet aboutissement, c’est la construction de structures vouées au « dialogue social » et colonisées par des « experts » en tout genre.

S’il est vrai que la lutte des classes est internationale dans son contenu mais nationale dans sa forme, alors il n’y a aucun avenir pour le mouvement ouvrier/salarié dans cette CES.

Quelles alliances possibles aujourd’hui ?

L’analyse nous laisse à penser que, dans ce contexte, il ne peut y avoir d’alliances prépondérantes avec aucun syndicat Français. Il
s’agit plutôt de soutenir des actions initiées par les syndicats qui par exemple, en ce moment se battent contre la loi EL KHOMERI. Il faut d’ailleurs remarquer que un à un, les pays européens sont confrontés au démantèlement du code du travail.

Il convient de regarder ce que dit la commission européenne dans le cadre du semestre européen pour chaque pays.

Concernant la France, elle dénonçait en particulier la « rigidité » du marché du travail. Dans son communiqué de presse du 26 février 2016, la commission préconisait la décentralisation de la négociation collective à l’échelle de l’entreprise, et une diminution généralisée des dépenses sociales. C’est ce que met en place avec zèle notre gouvernement dit socialiste.

Pour nous, la priorité, c’est de retrouver la souveraineté nationale. Pour cela, il faut commencer par Démondialiser. C’est à la représentation nationale d’écrire les lois par l’intermédiaire des députés. Il faut sortir des piliers du néolibéralisme que sont le libre échange, la finance, les différents traités, l’OTAN, le FMI etc.

Il est temps de s’apercevoir que le syndicalisme européen est mortifère pour les salariés et excellent pour le patronat.

Ce que je crois fondamental, c’est que si le gouvernement prend fait et cause pour l’entreprise, le patronat, comme c’est le cas en France depuis plusieurs années ; alors, il ne peut y avoir d’avancée sociale. La lutte politique est fondamentale et première.
Aujourd’hui, c’est la social-démocratie qui est au pouvoir. Elle a mis en place l’idée de collaboration de classes et nous ne voyons pas un seul syndicat capable de se sortir du carcan européiste.