Révision de la constitution en 2008 : menaces et marchandages

Refusant le référendum, Sarkozy a fait un étalage nauséabond des mœurs politico-médiatiques du régime pour obtenir un vote majoritaire des parlementaires.

C’est dans l’indifférence quasi générale de la population que la 24e révision de la Constitution de la Ve République a été adoptée par le Congrès, le 21 juillet 2008, par 539 voix contre 357, soit une voix de plus que la majorité requise des trois cinquièmes. Alors que le chef de l’État affirmait que cette révision était la plus importante de ces dernières décennies, il a refusé d’organiser un référendum. Le peuple a donc été mis à l’écart, comme pour l’adoption du traité de Lisbonne. 

Le contenu de cette révision constitutionnelle ne présente que peu d’intérêt et n’est pas de nature à bouleverser les institutions. Elle est loin de revêtir le caractère « historique » que lui a prêté Nicolas Sarkozy pour qui cette réforme constitutionnelle serait la plus importante depuis celle de 1962 qui vit les Français se prononcer pour l’élection du président de la République au suffrage universel direct.

En réalité, le plus marquant dans cette affaire a été l’étalage nauséabond des mœurs politico-médiatiques du régime politique. Tractations, séductions, pressions diverses, débauchages, marchandages, chantages, sondages bidons, flatteries, prébendes, manœuvres, achats de voix, promesses, menaces… telles ont été les méthodes utilisées par le pouvoir pour obtenir un vote majoritaire des parlementaires.

Les objectifs officiels de cette révision constitutionnelle étaient aux antipodes des objectifs réels : au lieu d’un « renforcement des droits du Parlement », on a assisté à une nouvelle étape de la concentration du pouvoir au sommet de l’État. Toutefois, les objectifs principaux du président de la République, qui étaient de diviser la gauche, n’ont pas été atteints. C’est pourquoi sa défaite politique a été présentée comme une victoire par de grands médias qui ont joué, plus que jamais, un rôle de service après-vente de l’Élysée.

Les objectifs officiels et les objectifs réels de Nicolas Sarkozy

La révision constitutionnelle était issue de la Commission chargée de formuler des propositions dont la présidence avait été confiée à Édouard Balladur par le président de la République. C’est ce dernier qui a probablement le mieux résumé les objectifs officiels de cette révision : « une limitation des pouvoirs du président de la République, un renforcement de ceux du Parlement et, ne l’oublions pas, une progression des droits des citoyens » (Le Figaro, 23 juillet 2008). Il n’y avait vraiment que les médias officiels du régime, comme l’audiovisuel et, par exemple, les journaux Le Monde, Le Figaro ou Libération pour le croire. Car la réalité est à l’opposé de ces bonnes intentions.

En guise de limitation des pouvoirs du président de la République, celui-ci pourra désormais s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès. Mais « Sa déclaration peut donner lieu hors sa présence à un débat qui ne fait l’objet d’aucun vote ». Ainsi le président pourra donner ses instructions à des parlementaires muets !

Concernant le « renforcement des droits du Parlement » - dont l’exemple ci-dessus illustre la dimension -, il s’agit en fait d’un accroissement des prérogatives du parti du président, majoritaire au Parlement, les groupes minoritaires et l’opposition voyant leurs possibilités de s’exprimer se restreindre. Le meilleur exemple est celui des modifications concernant l’ordre du jour du Parlement. Les médias, reprenant le discours sarkozyste, affirment que l’ « ordre du jour partagé » est « un progrès immense » puisque le Parlement aura la maitrise de la moitié de l’ordre du jour. Mais ce sont les partis de la majorité parlementaire qui en profiteront ! Ce sera quinze jours pour le gouvernement, quinze jours pour le président du groupe des députés UMP et un jour pour le reste des groupes. Ce n’est pas un pouvoir gagné par le Parlement, mais par le parti du président !

Quant à la « progression des droits des citoyens », cette ambition s’est immédiatement dissoute dans le refus de tenir un référendum. Comment prétendre, d’un côté, que l’on va favoriser la « progression » des droits des citoyens, alors que d’un autre côté on foule aux pieds le premier de ces droits qui est celui de s’exprimer au moyen du suffrage universel que représente le référendum ?

Une opération politicienne qui visait à diviser la gauche, la “modernisation“ des institutions n’étant qu’un alibi

Le but principal de Nicolas Sarkozy n’était pas de « réformer » la Constitution. Il était de diviser la gauche en tentant de détacher une partie de ses députés en les faisant voter la révision. Au plus bas dans les sondages, le président aurait alors pu se présenter comme le rassembleur et s’offrir une opposition encore plus docile et consentante. C’est bien l’objectif qu’il se fixait quand il appelait à « sortir de l’esprit de clan » (Le Monde, 17 juillet 2008). Sa hargne a explosé après le résultat, quand il affirmait : « Nous avons le parti d’opposition le plus sectaire d’Europe » (Le Figaro, 24 juillet 2008).

En effet, l’opération a échoué puisque Nicolas Sarkozy n’a fait passer son projet qu’avec une seule voix d’avance et un butin particulièrement maigre du côté de son brigandage à gauche. Au début, pourtant, un certain nombre de parlementaires socialistes avaient hésité. Mais lorsque la majorité parlementaire a rejeté la réforme du mode de scrutin sénatorial et le décompte du temps de parole présidentiel dans les médias, le PS a fini par comprendre la nature du piège.

Les 41 élus communistes et républicains ont voté contre, ainsi que 289 socialistes et apparentés sur 299, auxquels s’ajoutent les 4 élus Verts et 7 élus de droite. La gauche parlementaire a très bien résisté, sauf au sein du Parti radical de gauche.

C’est pourquoi une forte pression médiatique a été organisée pour diffuser le mensonge à grande échelle sur le contenu de la réforme, et sur le prétendu succès de Sarkozy. On a assisté à une transformation du revers de Sarkozy en une « crise » au sein du PS, alors que seul Jack Lang a fait défection et qu’un quarteron de seconds couteaux, aux ambitions démesurées, se sont vus offrir toutes les tribunes médiatiques pour développer leur thèse.

Un vote majoritaire arraché 
grâce à des magouilles

La pêche de Nicolas Sarkozy dans les rangs de la gauche n’aura pas été fructueuse. Il n’y a eu qu’un Jack Lang dans les filets. L’appât fut la promesse de sa nomination au poste de « défenseur des droits » créé par la révision constitutionnelle. Une sorte de retraite progressive pour une personnalité à l’ego bien connu.

Il y a eu aussi du menu fretin comme certains parlementaires radicaux de gauche. Le coût pour les faire voter en faveur du projet sarkozyste n’a pas été très élevé, eux-mêmes n’ayant qu’une appréciation modeste de leur valeur : passage de 20 à 15 du seuil de constitution d’un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale (le Parti radical de gauche dispose aujourd’hui de 18 députés) ; Jean-François Hory, ancien président du PRG, nommé au Conseil d’État… et peut-être un arrangement avec Bernard Tapie (ancien dirigeant du PRG) dans le cadre de son procès avec l’ancien Crédit lyonnais, où l’État pourrait renoncer à faire appel…

C’est à droite que les choses ont été beaucoup plus sérieuses puisqu’une centaine de parlementaires menaçaient de voter contre le projet de révision constitutionnelle. L’Élysée a joué le rôle d’un centre d’appel, le président lui-même n’hésitant pas à prendre le téléphone.

Résultat : le retournement de veste d’Alain Lambert, par exemple, s’est opéré contre un siège à la Commission de surveillance de la Caisse des dépôts.

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