Préambule du programme du Pardem

La société nouvelle que le Parti de la démondialisation veut contribuer à construire ne pourra voir le jour que si le peuple lutte pour reconquérir sa souveraineté à l’échelle de la Nation. Sans reconquête de la souveraineté populaire et de la souveraineté nationale, aucune amélioration du sort des citoyens ne sera possible.

Les différentes formes de la souveraineté ne sont pas à hiérarchiser,
elles vont ensemble

L’abrogation de toutes les contraintes pour les exercer doit être engagée. C’est la condition de la citoyenneté, dont le socle repose sur l’indivisibilité des droits, qu’ils soient politiques, civiques, sociaux ou économiques. L’État doit se doter de tous les moyens pour servir l’intérêt général. En cela, le programme du Parti s’inspire du programme du Conseil national de la Résistance (CNR) de 1944 et du processus politique de rassemblement du peuple qu’il avait lancé.

 

Le programme du Parti de la démondialisation en est le prolongement contemporain. Sa portée révolutionnaire est incontestable, sans pour autant céder à la moindre démagogie et à l’enflure du verbe. Il se veut concret, précis, opérationnel. Nous nous plaçons dans l’hypothèse où nous gouvernons. Que faisons-nous concrètement pour résoudre les problèmes du pays et engager un processus de construction d’un nouvel ordre européen et mondial ?

Le programme du CNR stipulait qu’il s’agissait de « rétablir la France dans sa puissance, sa grandeur et sa mission universelle ». L’ambition du Parti de la démondialisation est identique, même si cette formule, aujourd’hui, serait probablement rédigée autrement. Le Conseil national de la Résistance se réunit pour la première fois le 27 mai 1943, clandestinement, dans un appartement parisien, sous la présidence de Jean Moulin, représentant en France occupée du Général de Gaulle (qui est à Londres puis ira à Alger comme chef de la France Libre). Jean Moulin sera arrêté par les nazis en juin de la même année. Le CNR regroupait huit mouvements de la résistance intérieure : Combat, Libération zone Nord, Libération Sud, Francs-tireurs partisans (FTP), Front national (rien à voir avec le Front national actuel), Organisation civile et militaire (OCM), etc. Il regroupait également les deux grandes confédérations syndicales de l’époque : la CGT (réunifiée) et la CFTC ; ainsi que six représentants des principaux partis politiques reconnaissant la France Libre, dont le Parti communiste, le Parti socialiste, les radicaux, la droite républicaine et les démocrates-chrétiens...

Adopté le 15 mars 1944 dans la clandestinité, le programme du Conseil national de la Résistance est mis en œuvre à partir de la Libération.

Le programme du CNR permettra d’établir les bases de l’État social et d’assurer, comme dans la plupart des pays de l’Europe occidentale, un progrès social inconnu jusqu’alors, qui se poursuivra pendant près de trente années

Il ne s’agit pas, cependant, d’avoir une vision unilatérale et angélique de cette période, qui connut aussi des aspects négatifs. C’est le cas, notamment, du développement du productivisme qui fera subir aux travailleurs et à l’environnement de graves dommages, ainsi que la poursuite de la domination coloniale.

Cependant, un tabou doit être brisé : celui du silence organisé sur le programme du Conseil national de la Résistance. On peut, en effet, parler de tabou, car le programme du CNR et sa mise en œuvre font l’objet d’un étrange silence. Comment, en effet, expliquer que la France de 1945, ruinée, crée par exemple la Sécurité sociale et que soixante-dix ans plus tard, alors que les richesses du pays ont été décuplées, les gouvernements successifs détruisent peu à peu ses fondements. La raison est simple. Selon le Fonds monétaire international (FMI), les États-providence n’ont pu se développer que dans une période « exceptionnelle », au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Cette « exception » venait, en fait, d’un extraordinaire rapport des forces, favorable au monde du travail, ce que le FMI omet évidemment de rappeler. L’effondrement des organisations patronales qui, globalement, avaient collaboré avec les nazis, une forte mobilisation des peuples, des gouvernements favorables aux intérêts des classes dominées dans toute l’Europe, la preuve par les faits de l’incapacité intrinsèque du marché à reconstruire – « spontanément » - le Vieux Continent, permettent à l’époque la mise en place de la protection sociale dont nous héritons aujourd’hui.

Le programme du Conseil national de la Résistance, encore aujourd’hui,
est le cauchemar des néolibéraux

Le retour à une situation « normale », qu’appelle le FMI de ses vœux, relayé par l’Union européenne, est tout simplement la remise en cause de la plupart des fonctions de l’État-providence parce que « les systèmes collectifs vont être mis en concurrence » dans le cadre de la mondialisation. Selon cette théorie, les pays ne parvenant pas à réduire leurs dépenses sociales auront alors à résoudre un problème majeur : d’un côté, les actifs - hommes et capitaux - qui vont se délocaliser, de l’autre, les passifs, « ceux qui participent à la dépense sans créer de richesse », qui resteront. Insidieusement, cette conception s’est peu à peu développée, particulièrement depuis le début des années 80 qui a vu la victoire électorale de Ronald Reagan et Margareth Thatcher, contribuant à étendre les dogmes néolibéraux à toute la planète.

Ce texte formidable du programme du Conseil national de la Résistance doit être connu, particulièrement des jeunes générations. Le débat public ne pourra qu’en être stimulé, pour aider à comprendre les raisons qui conduisent à la destruction presque systématique des réformes issues de cette période. Il faut entretenir l’esprit de résistance et le rejet de la soumission, par la transmission de ce patrimoine et de cette mémoire.

Le présent document contient l’état actuel de la réflexion du Parti de la démondialisation. De nombreux sujets ne sont pas encore inclus, ou le sont de façon sommaire. Ils seront évidemment abordés dans les mois qui viennent. Néanmoins, dans ce début de programme, le Parti a traité les questions les plus essentielles, car c’est sur l’essentiel qu’il faut se rassembler. Et l’essentiel, l’urgence, pour le Parti de la démondialisation, est que le peuple reconquière sa souveraineté à l’échelle nationale. C’est le moyen de mettre en œuvre une politique qui affaiblisse les puissances dominantes (les classes dominantes) et qui renforce le peuple (les classes dominées) afin de bâtir une société du bien-vivre.

Un programme ne peut pas être un catalogue de bonnes intentions. Pour être crédible et efficace, il doit préciser l’ordre des opérations qu’il entend mener et son ordonnancement dans le temps

C’est ce qui lui permettra d’anticiper et de surmonter tous les obstacles qui ne manqueront pas de surgir. À cet égard, le programme du Parti de la démondialisation est systémique. Cela signifie qu’il vise à remplacer un système par un autre système. Par conséquent, sa mise en œuvre doit être rapide, massive et globale afin de créer dans les délais les plus brefs possibles la masse critique susceptible de submerger les puissances dominantes (les classes dominantes) et de libérer l’énergie du peuple (les classes dominées). Car le projet de démondialisation que porte le Pardem ne doit pas être pris à la légère. Tout ce que la France – et au-delà ! – compte de réactionnaires, de privilégiés, sera vent-debout contre notre programme. Les classes dominantes se mobiliseront pour tenter de déstabiliser le processus de changement, par tous les moyens, dont il ne faut pas exclure les provocations. On trouvera côte à côte les représentants des grandes féodalités industrielles, financières, de services, médiatiques, les chefs des grands partis ou de certains syndicats…

Les dix points-clés du programme du Parti de la démondialisation présentés ci-dessous constituent la base sur laquelle rassembler le peuple de France.

 

Eléments de compréhension historique

Les politiques néolibérales ont commencé à s’appliquer à grande échelle en France dès le plan Barre de 1976, du nom du Premier ministre Raymond Barre du temps de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. Elles avaient été précédées de la loi n°73-7 du 3 janvier 1973 sur la Banque de France. Parfois appelée loi Pompidou-Giscard ou loi Rothschild, cette loi a été élaborée par le ministre de l’Économie et des Finances, Valéry Giscard d’Estaing. Elle modifie les statuts de la Banque de France en lui ôtant le pouvoir de prêter à l’État. Ainsi, jusqu’en 1972, la Banque de France pouvait prêter à l’État sans intérêt à hauteur de 10,5 milliards de francs, puis 10 autres milliards à des taux très bas.

La loi de 1973 oblige désormais l’État à emprunter aux marchés financiers privés

Cette règle sera reprise dans le Traité de Maastricht de 1993 et dans le Traité de Lisbonne (article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – TFUE). C’est donc bien la classe politique du moment qui s’est soumise aux marchés financiers, et non les marchés financiers qui ont soumis la classe politique. Dès lors, les contribuables vont subventionner les marchés financiers au travers des intérêts sur les emprunts, alors qu’auparavant ils étaient gratuits. Cette loi justifie le caractère illégitime de la dette publique et la nécessité de son non-remboursement.

Les politiques néolibérales ont pris leur véritable envol et sont devenues chroniques à partir du « tournant de la rigueur » de 1982-1983 opéré par le Premier ministre socialiste, Pierre Mauroy, et le ministre socialiste de l’Économie et des Finances, Jacques Delors, lorsque François Mitterrand était président de la République.

Comment peut-on définir les politiques néolibérales, et pourquoi cette conception s’est-elle imposée depuis le début des années 1980 en se propageant à l’ensemble de la planète ? On ne peut répondre correctement à cette question qu’en analysant les évolutions géopolitiques depuis les lendemains de la Première Guerre mondiale.

 

Le libéralisme classique

La théorie économique dominante, jusqu’à la Première Guerre mondiale, a été celle du libéralisme classique des physiocrates[1] du XVIIIe siècle : « laisser passer, laisser faire, le monde va de lui-même ». Elle repose notamment sur la notion de « neutralité des finances publiques » qui signifie que les ressources comme les charges de l’État devraient être « neutres » et équilibrées entre elles. Le budget de l’État ne devrait donc pas influer sur le comportement des agents économiques[2] et sur l’économie en général. Des « lois » économiques « naturelles », comme celle de l’offre et de la demande ou de la liberté de la concurrence aboutiraient à un « équilibre naturel » sans intervention extérieure, particulièrement de l’État. Ce dernier ne doit donc pas venir perturber cet équilibre, il doit se limiter à maintenir un cadre de libre concurrence favorable à l’activité des agents économiques. L’État doit se contenter de financer ses fonctions « régaliennes » comme la police, la justice, la défense, la diplomatie.

En matière de ressources, pour la théorie libérale classique, l’impôt doit être neutre et le recours à l’emprunt doit être exceptionnel. On fera pourtant remarquer qu’un impôt, quel qu’il soit, ne peut pas être neutre pour le comportement des agents économiques du fait qu’il a nécessairement un impact sur leur propension à épargner ou à consommer. Inversement, un impôt préférentiel sur certaines activités (une « aide » fiscale) oriente les agents économiques vers ces activités et ne peut pas non plus être neutre.

 

La conception du libéralisme classique consiste à refuser d’utiliser la fiscalité pour orienter le comportement des agents économiques

 

Concernant l’emprunt, la répulsion de cette idéologie à son égard tient au fait qu’il détournerait l’épargne de l’investissement privé. En outre, il ferait supporter aux générations futures le poids des intérêts de la dette contractée. On peut objecter que les générations futures bénéficieront des infrastructures financées par cet emprunt (si l’emprunt sert à cela…).

En matière de charges, toujours selon la théorie libérale classique, seules les dépenses régaliennes doivent être assumées par l’État, ce dernier ne doit pas intervenir et modifier le comportement des agents économiques. Cependant, le développement du capitalisme et les luttes sociales ont conduit l’État, peu à peu, à sortir de son cadre d’intervention limité. Des fonctions nouvelles sont apparues, traduites dans les dépenses de l’État : politique sociale, éducation… Néanmoins la croissance des dépenses de l’État était faible. Jusqu’en 1914, les dépenses de l’État représentent de 10 à 15% du PIB dans les pays développés, la part de celles consacrées aux fonctions régaliennes restant supérieure aux dépenses « sociales ».

Des phénomènes exceptionnels vont bouleverser les conceptions du libéralisme classique et y mettre un terme. Il s’agit des crises économiques du capitalisme et des guerres qui vont provoquer une augmentation des dépenses publiques (par la voie de l’impôt et des emprunts). La Première Guerre mondiale sonnera le glas du libéralisme classique, démontrant que l’intervention de l’État était indispensable. Le coup de grâce sera donné par la crise de 1929, démontrant que l’équilibre naturel était en réalité un déséquilibre structurel du capitalisme, ne pouvant être compensé que par une intervention de l’État. Ce dernier, à la suite de puissantes luttes sociales, débouchait sur le New Deal aux États-Unis en 1933 et sur le Front populaire en France en 1936. Les conceptions du libéralisme classique étaient alors pulvérisées.

 

Les politiques keynésiennes

Une nouvelle théorie va apparaître entre la crise de 1929 et le début de la Seconde Guerre mondiale : le keynésianisme, du nom de l’économiste anglais John Maynard Keynes (1883-1946).

 

Keynes va analyser la crise de 1929 et constater que le chômage est involontaire, contrairement aux affirmations des libéraux, et qu’il ne pourra pas se résorber par la non-intervention de l’État au prétexte du « laisser faire, laisser passer »

 

Ce chômage provoque l’écroulement du pouvoir d’achat et donc de la demande, et par conséquent celui de l’investissement productif. Il faut donc distribuer du revenu aux ménages les plus en difficulté afin de les inciter à consommer, et baisser les taux d’intérêts afin de  faire repartir l’investissement. L’État doit augmenter ses dépenses publiques pour corriger les déséquilibres provoqués par le marché. Pour Keynes, la demande (capacité des ménages à consommer) est le facteur décisif dans l’économie, car c’est elle qui va déterminer le niveau de la production (industrielle, agricole et de services), et donc le niveau de l’emploi. L’État doit donc intervenir par des politiques de « relance », provoquant un « effet multiplicateur ».

Les conceptions keynésiennes vont dominer les politiques économiques des pays développés jusqu’à la fin des années 1970. Elles donneront lieu à une période appelée les « trente glorieuses » caractérisée par le plein-emploi et la progression du niveau de vie des classes populaires. Cette situation, au demeurant, a été rendue possible par l’existence d’un rapport de forces politique et social très favorable aux classes dominées. Les mouvements de résistance issus de la Seconde Guerre mondiale, en effet, vont déboucher en Europe occidentale sur des gouvernements de large alliance qui vont mettre en œuvre des politiques favorables aux intérêts des classes dominées. Il faut ajouter l’extension du camp « soviétique » grâce au rôle joué par l’Armée rouge dans la victoire contre le nazisme, qui va susciter la volonté, à l’Ouest, de dissuader les peuples de tourner leurs regards vers l’URSS. Des politiques sociales avantageuses vont y contribuer.

 

L’affaiblissement des politiques keynésiennes

Dans les années 1970, les politiques keynésiennes vont être de moins en moins efficaces. Trois raisons principales expliquent cette situation.

La première raison est la fin des Accords de Bretton Woods. Signés le 22 juillet 1944 dans la petite ville de la côte Est des États-Unis du même nom, ils ont rassemblé pendant trois semaines 730 délégués représentant les 44 nations alliées pendant la Seconde Guerre mondiale, avec un observateur soviétique. Il y a été décidé de réorganiser le système monétaire mondial autour du dollar, mais avec un rattachement à l’or. Deux institutions ont été créées : la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI). Une troisième institution aurait dû voir le jour, l’Organisation internationale du commerce (OIC), mais le sénat américain, en 1948, a refusé de ratifier la charte de La Havane qui lui donnait corps. Étrangement, aucun contrôle n’avait été prévu sur la quantité de dollars pouvant être émis par le gouvernement des États-Unis, qui devaient être la contrepartie de la valeur du stock d’or.

L’objectif des Accords de Bretton Woods était de rebâtir un système monétaire international permettant d’éviter le retour des mouvements de capitaux spéculatifs. C’est pourquoi un contrôle strict de ces derniers avait été instauré. Les politiques monétaires nationales pouvaient ainsi se consacrer entièrement au développement économique de chaque pays en se dégageant de la pression des marchés. En même temps, ces contrôles permettaient d’éviter toute fuite des capitaux et l’évasion fiscale.

La création du marché des eurodollars, en 1957, est une des innovations monétaires les plus importantes de l’après-guerre. Comment décrire ce marché, comment s’est-il constitué et quelles ont été les conséquences ?

 

Sur le marché des eurodollars, les transactions portent sur des dollars américains détenus et utilisés hors des États-Unis

 

Les opérations sont essentiellement réalisées à la City de Londres, mais en dehors du système financier réglementé par l'État britannique et des contrôles qui s'appliquent habituellement aux opérations en livres sterling. C'est donc un système tout à fait inédit : un marché « international » qui se développe au sein du marché monétaire britannique. Au lieu d’échanger des devises, les opérateurs vont désormais se mettre à les prendre en dépôt et à les prêter. Cette situation ouvre une brèche dans le système monétaire international institué à Bretton Woods, qui reposait sur les espaces monétaires nationaux, surveillés chacun par leurs autorités monétaires respectives. Le marché des eurodollars va créer un espace libre de toute contrainte publique et permettre aux opérateurs d'accéder à un univers monétaire parallèle (offshore).

Les banques britanniques vont appliquer les techniques traditionnelles de constitution d'un pool bancaire, c'est-à-dire le regroupement des ressources de plusieurs banques, pour pouvoir proposer des prêts importants. Il est alors possible d’offrir des prêts en dollars à des taux plus intéressants que ceux de New York, où les activités de dépôts et de prêts en dollars sont réglementées et donc plus coûteuses.

La prospérité des banques d'affaires britanniques reposait jusqu’alors sur les crédits en livres sterling, avec lesquels elles finançaient le commerce international. Mais avec le déclin du statut de monnaie internationale de la livre, les banquiers de la City ont dû admettre, dans les années 50, que la faiblesse désormais chronique de la monnaie britannique ne lui permettait plus de jouer ce rôle. Ils ont donc saisi tout simplement la seule solution alternative qui se présentait à eux : l'eurodollar.

L'un des premiers à se rendre compte que l'avenir de la City divergeait de celui du sterling est Sir George Bolton, président de la Bank of London & South America (Bolsa). Il décidait de retirer la banque des opérations en livres sterling et de constituer, en remplacement, des dépôts en dollars pour assurer les opérations de financement du commerce international.

 

 

Il est généralement admis de fixer à septembre 1957 le démarrage du marché des eurodollars

 

À cette date, en effet, une nouvelle crise de la livre sterling amène le gouvernement britannique à restreindre l'usage de sa monnaie comme moyen de financement en dehors de la zone sterling. La source à laquelle les banques d'affaires anglaises et étrangères de la City puisaient les fonds qui leur permettaient de conduire leurs affaires est ainsi tarie. Les banques britanniques recherchent alors d'autres moyens de financement, et s’orientent vers le contrôle des dollars circulant hors des États-Unis. Elles vont multiplier par quatre leurs avoirs dans cette monnaie entre 1958 et 1963. Les banques américaines vont peu à peu s'installer en masse à Londres.

Parmi les causes de la création du marché des eurodollars, il y a la décision prise par les pays communistes de retirer leurs avoirs en dollars des États-Unis, tout simplement parce qu'ils pouvaient obtenir de meilleurs taux à Londres (et aussi à Paris). L’augmentation du nombre de dollars a aussi été provoquée par la guerre du Vietnam, la course à l’espace avec les Soviétiques et l’entretien de nombreuses bases militaires américaines à l’étranger.

La Banque d'Angleterre, si elle l’avait voulu, aurait pu mettre un terme à l'expansion du marché des eurodollars. Mais la surveillance du système bancaire du Royaume-Uni par la banque centrale reposait sur deux principes : ne pas intervenir directement sur l'activité des banques et leur laisser une grande latitude pour se réguler elles-mêmes, tout en s'assurant que le système bancaire ne pouvait pas être mis en danger.

L’écart entre la valeur fixe du stock d’or et le montant des dollars en circulation menaçait les États-Unis de banqueroute. Ne voulant pas voir disparaître le stock d’or, le président Nixon, le 15 août 1971, a suspendu unilatéralement la convertibilité du dollar en or. Le régime des changes fixes prenait officiellement fin en mars 1973 pour être remplacé par un régime de changes flottants. Disparaissait ainsi tout système monétaire international.

 

L’innovation qui permit le renouveau des banques britanniques avec le marché des eurodollars apparaît aujourd'hui comme le premier pas de la libéralisation financière internationale

 

La création du marché des eurodollars, en fait par la Banque centrale d’Angleterre, a lancé le processus de gonflement de la masse monétaire en dollars, à l’origine d’ailleurs des paradis fiscaux.

Cette instabilité monétaire va ouvrir la voie au déchaînement de la spéculation financière. Dès lors que les taux de change sont flottants, des profits de très court terme peuvent être réalisés sur les écarts de taux entre devises. Des capitaux gigantesques vont être détournés progressivement de l’investissement productif pour aller se positionner sur des opérations sans aucun lien avec l’économie réelle. Les politiques keynésiennes, ayant besoin de stabilité internationale et de capitaux, publics et privés, pour relancer la demande et l’investissement, se trouvent asséchées.

 

La deuxième raison qui explique la baisse d’efficacité des politiques keynésiennes est le développement des échanges internationaux, qu’il s’agisse des biens, des services ou des capitaux

 

Par exemple, entre 1950 et 1973, la part des exportations mondiales dans le PIB mondial a presque doublé, passant de 5,5% à 10,5%, puis à 17,2% en 1998 (source : OCDE, 2001). L’impact sur les politiques keynésiennes est immédiat puisqu’il annule ou limite considérablement l’effet multiplicateur. Ainsi, lorsqu’une politique de relance d’inspiration keynésienne est menée, visant à augmenter la demande et l’investissement pour accroître la croissance économique et l’emploi, le gain de pouvoir d’achat obtenu par les ménages est utilisé en partie à l’achat de biens et services étrangers. L’impact sur l’emploi national est donc très réduit, ce sont les importations qui augmentent. C’est ce qui s’est passé, en France, avec la relance de la gauche menée en 1981 et 1982 qui a été un échec, faute d’avoir pris des mesures protectionnistes et de reprise en main de la politique monétaire.

 

La « révolution » monétaire de juillet 1979

La troisième raison est le déclenchement d’une révolution monétaire, inspirée de la théorie monétariste[3], versant monétaire du néolibéralisme, au moment de la réunion du G5 de Tokyo en juillet 1979. Le G5, ancêtre du G8 d’aujourd’hui, propulsa le monde dans la dépression économique généralisée et le chômage de masse permanent. Les cinq pays les plus industrialisés du monde (États-Unis d’Amérique, France, Japon, République fédérale d’Allemagne, Royaume-Uni) décident de changer de « stratégie » économique par rapport à celle mise en œuvre après le premier choc pétrolier de 1974 : ne pas laisser repartir l'inflation et veiller aux équilibres extérieurs. C’est-à-dire mener des politiques économiques restrictives.

 

Pour réagir au second choc pétrolier de 1979, les pays du G5 décident de réduire volontairement la croissance économique et donc l’emploi

 

Le prétexte du pétrole, comme en 1974, est utilisé pour faire d’une pierre deux coups : redresser les marges des entreprises face à l’augmentation des prix du pétrole ; affaiblir le salariat par la compression des salaires et le chômage. Cette réunion du G5 marque une rupture fondamentale avec les politiques d'inspiration keynésienne menées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après Tokyo, la désinflation devient la priorité des priorités. En application de ces principes, les autorités monétaires américaines changent leur stratégie en automne 1979 : la FED décide de casser l’inflation en restreignant la création monétaire[4] et en augmentant les taux d’intérêt.

Pourquoi ce changement de politique économique et quels en ont été les effets ? La cause essentielle de ce changement de stratégie est à rechercher dans la baisse régulière des profits des grandes entreprises durant les décennies 60 et 70, provoquée par une évolution du rapport des forces mondial favorable aux peuples. Il en a résulté une très nette amélioration de la norme salariale (emploi, salaires, conditions de travail…), tant sur le plan quantitatif avec un plein-emploi relatif, que sur le plan qualitatif avec la création d’un véritable statut salarial dans les pays occidentaux.

 

La montée en puissance des « forces de progrès »

Jusqu’au début des années 70, la montée en puissance des « forces de progrès » provoque une perte de contrôle du capitalisme dans de nombreux pays et un progrès social généralisé. Le plein-emploi relatif (les femmes restaient largement hors du travail) des trente années qui suivent la Seconde Guerre mondiale dans les pays occidentaux et l’amélioration de la situation dans les pays du Tiers-Monde s’expliquent par « l’encadrement » du capitalisme. Cet « encadrement » s’opère par les « forces de progrès » (partis de gauche et syndicats qui, à l’époque, défendent généralement les intérêts des classes dominées), à l’apogée de leur puissance dans les pays occidentaux ; par l’existence d’un « camp soviétique », quoique l’on pense de ces régimes politiques ; par les difficultés internes aux États-Unis suscitées notamment par la guerre du Vietnam ; par la montée des mouvements de libération nationale qui expérimentent des voies de développement non capitalistes avec le Mouvement des pays non-alignés. S’ajoutent à cette transformation du rapport de forces les événements de mai-juin 1968 qui remettent en cause l’esprit du capitalisme lui-même dans de nombreux pays occidentaux.

 

Dans les années qui suivent 1968, le « désordre » dans les entreprises de certains pays occidentaux crée une sorte de « pouvoir ouvrier » qui se traduit par d’immenses avancées du droit du travail

 

Les directions d’entreprise perdent une partie du contrôle sur leurs salariés. La productivité et les profits baissent, les salaires montent et les luttes ouvrières sont radicales. La critique contre le capitalisme se généralise, provoquant une amélioration considérable de la norme d’emploi lors de la « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas, nommé Premier ministre (1969-1972) sous la présidence de Georges Pompidou. Jacques Delors sera d’ailleurs son conseiller social…

À partir du début des années 70, pour reprendre la main face à la « désorganisation » dans les entreprises, remettre sous contrôle et re-discipliner le salariat, les collectifs salariés sont progressivement déconstruits par le patronat afin de « gérer » des individus, directement ou par le biais de « réseaux » conçus comme une addition d’individus. Si la prise en compte sectorielle des conditions de travail est une réalité dans certaines branches et entreprises, ce n’est pas le cas général et l’exploitation s’est développée en prenant de nouvelles formes. C’est la déconstruction des frontières traditionnelles de l’entreprise par l’organisation méthodique de la flexibilité qui fait supporter les risques du marché aux salariés ou à l’ensemble de la société. C’est la déconstruction du syndicalisme par le changement de stratégie du patronat qui cherche désormais à contourner les syndicats. La flexibilité perturbe l’organisation classique du syndicalisme. C’est la déconstruction des normes d’emploi et de travail par les gouvernements successifs, l’organisation de la précarité, la facilitation des réductions d’effectifs, la mise en place d’un « sous-marché du travail », le déplacement de la négociation collective vers l’entreprise, là où les syndicats sont faibles.

 

L’essoufflement du modèle social-démocrate et la disparition du monde soviétique ont, parallèlement, affaibli l’idée qu’une alternative au capitalisme était possible

 

La « globalisation financière », dès lors, devenait un choix politique opéré par les gouvernements occidentaux. Elle s’explique à son début par les déficits croissants et prolongés des grands pays industriels à partir des années 70. La baisse du rythme de la croissance économique, mais aussi l’inflation et le chômage, provoquent deux phénomènes : d’un côté les recettes fiscales se réduisent ; d’un autre côté les dépenses sociales s’accroissent. Dans un premier temps, au lieu de relancer l’économie, notamment par la création monétaire, ces pays multiplient les émissions obligataires[5] du Trésor qui ne font qu’aggraver les déficits. Elles peuvent le faire car la loi du 3 janvier 1973 sur la Banque de France oblige désormais l’État à emprunter aux marchés financiers privés. Les États de l’OCDE, en laissant monter la dette publique, ont assuré aux créanciers une rente confortable, assise sur la montée des taux d’intérêts. C’est le début de la « dictature des rentiers ». Dans un second temps, pour rassurer les détenteurs d’obligations qui s’inquiètent de la poursuite des déficits et de l’inflation (qui risquent de dévaloriser leurs actifs), tout en évitant de relancer la croissance économique qui risquerait de remettre en cause les efforts de reprise en main du salariat, les gouvernements occidentaux déclenchent la guerre contre l’inflation lors du G5 de Tokyo et les déficits en réduisant les dépenses sociales.

 

La lutte obsessionnelle contre l’inflation

On peut définir l’inflation comme une augmentation durable, générale et auto-entretenue soit des prix du travail (les salaires), des biens, des actifs (immobilier, actions, obligations…) et ou de la masse monétaire.

L’inflation, du point de vue des classes dominées, est loin d’avoir les défauts qu’on lui prête. C’est d’ailleurs pour cette raison que les politiques monétaristes se sont fixé pour objectif de l’éradiquer.

 

L’inflation est favorable aux emprunteurs et défavorable aux prêteurs

 

Autrement dit, elle est favorable à ceux qui tirent leurs revenus du travail (les salariés) et défavorable à ceux qui tirent leurs revenus du capital (les détenteurs de capitaux). Ainsi, pendant les Trente Glorieuses, des millions de ménages modestes ont pu accéder à la propriété immobilière. Inversement, la part du capital dans la valeur ajoutée a baissé, et il aura fallu attendre les gouvernements socialistes à partir de 1981 pour observer un redressement spectaculaire des revenus du capital. L’inflation a pour avantage général d’orienter les anticipations des agents économiques puisqu’il vaut mieux acheter aujourd’hui et vendre demain. Si on empêche l’inflation d’être explosive (hyperinflation), le climat d’achat est favorable à la production et à l’emploi, à condition que cette inflation soit modérée (4 à 6% par an). Elle est favorable aux revenus à condition qu’ils soient indexés (échelle mobile des salaires et des prix). L’inflation permet la baisse de la valeur réelle de tout endettement, toute acquisition devient aisément remboursable, le taux d’endettement réel diminue donc comme le taux de l’inflation. Elle favorise l’endettement des ménages qui sont gagnants. L’inflation des revenus (des salaires) a trois avantages : elle facilite la répartition des revenus ; elle favorise ceux qui s’endettent ; elle permet des anticipations favorables.

L’inflation est souvent mal comprise car il existe une « illusion monétaire ». Elle consiste en ce que les individus pensent nominalement et non réellement. La valeur nominale, par exemple pour un crédit bancaire, sera le taux d’intérêt auquel prête la banque, par exemple un taux fixe de 4,5%. Cette information n’est pas la plus importante pour l’emprunteur qui devra chercher la valeur réelle, et non simplement nominale, du taux d’intérêt de son crédit. Si l’inflation est de 2%, le taux d’intérêt réel du crédit sera de +2%. Si l’inflation est de 6%, le taux réel est de -1,5%, il est négatif.

 

Celui qui emprunte va donc gagner à trois conditions : que l’inflation se poursuive, que son taux d’intérêt soit fixe, qu’il dispose d’un système d’indexation de son salaire sur les prix

 

Dans ce cadre, un emprunteur qui consacre 30% de ses revenus mensuels la première année de remboursement de son emprunt, verra la part de ses revenus consacrée au remboursement décroître régulièrement pour arriver à des proportions négligeables. En effet, le montant des mensualités sera fixe, alors que le salaire augmentera tous les mois (échelle mobile des salaires et des prix).

L’inflation, en revanche, est l’ennemie mortelle des préteurs et du capital. Prenons l’exemple d’un fonds de pension qui achète des obligations d’État dont le taux d’intérêt nominal est 3%. Si l’inflation est de 4%, le taux de rendement réel obtenu par le fonds de pension sera de -1%. Pour que le fonds de pension réalise un rendement positif, il faudra impérativement que l’inflation soit inférieure à 3%. Par ailleurs, toute inflation peut avoir tendance à produire une accélération de l’inflation. D’une manière générale, l’inflation est défavorable aux revenus non-indexés, tout revenu non-indexé perd.

Si la Banque centrale européenne (BCE) s’est vue fixer comme objectif de maintenir une inflation de 2%, c’est pour garantir un rendement positif aux détenteurs de capitaux. Rappelons que selon la théorie néolibérale, la liberté totale des mouvements de capitaux doit déboucher sur une allocation optimale des ressources. En assumant un rendement positif au capital, la BCE espère attirer les capitaux. C’est ce qui s’est passé, mais il s’est agi de capitaux spéculatifs à court terme ayant déstabilisé l’économie réelle au lieu de la renforcer. L’euro a joué le rôle d’agent propagateur et amplificateur de cette déstabilisation.

Quelles sont les causes de l’inflation ? Pour les monétaristes, une masse monétaire trop importante, provoquée par le laxisme des autorités politiques, serait à l’origine de l’inflation. Pour d’autres économistes, il existe des explications non monétaires de l'inflation. On parlera alors d’inflation par la demande dans laquelle les prix augmentent à cause d'une croissance plus rapide de la demande par rapport à l’offre. Comme il y a trop d’acheteurs pour la quantité de biens disponibles, le prix des biens augmente pour atteindre un équilibre entre l’offre et la demande. Il existe aussi l’inflation par l’offre dans laquelle on distingue d’abord l'inflation due à la hausse des coûts de production, souvent liée à l'augmentation des salaires, et parfois au coût des matières premières (inflation importée). On trouve aussi l’inflation par les profits, provoquée par la recherche d'un maximum de profit de la part des détenteurs du capital.

 

Le passage d’une inflation à une autre résulte de la révolution monétaire de juillet 1979

 

Avant la réunion du G5 à Tokyo, le mode de régulation de l’économie se fait par les prix. Pour équilibrer toutes les offres et toutes les demandes, le prix constitue l’outil principal : il augmente quand le produit est rare et la demande forte, il diminue quand le produit est abondant et la demande faible. C’est la période des Trente Glorieuses du plein-emploi. Pour les classes dominantes, le plein-emploi est un facteur d’inflation à éliminer, car il ronge à la fois les marges des grandes entreprises (hausse des salaires) et le rendement réel des capitaux. Il faut donc, pour elles, faire monter le chômage et le maintenir à un haut niveau.

En effet, lorsqu’il n’y a pas de chômage, comment un employeur peut-il recruter du personnel ? Il existe deux solutions. La première est de faire venir de la main-d’œuvre étrangère, la seconde est de débaucher des personnes déjà employées. Toutefois, le travailleur déjà occupé n’acceptera de changer d’employeur que si on lui propose une amélioration de son sort : augmentation du salaire, travail plus intéressant, promotion, avantages divers…

 

Dès lors, le système du plein-emploi est mécaniquement favorable au monde du travail car il pousse à la hausse les rémunérations et les conditions de travail

 

Le rapport de forces lui est favorable, le patronat ne peut plus exercer le moindre chantage en menaçant de se passer d’un salarié trop revendicatif, au motif que 10 personnes attendraient à la porte de l’entreprise pour récupérer son emploi.

Pour compenser cette augmentation des rémunérations, les employeurs vont augmenter les prix des biens et services. Constatant l’annulation des hausses de salaires que provoque cette augmentation des prix, les salariés exigent alors de nouvelles hausses de salaires. C’est ainsi qu’un cycle inflationniste peut s’enclencher si les employeurs refusent de réduire leurs marges et répercutent les augmentations de salaires qu’ils concèdent sur l’augmentation des prix de leurs biens et services.

La « révolution » de 1979 se fixera pour objectif de briser ce cycle infernal pour les classes dominantes. Le choix fait sera celui du changement du mode de régulation de l’économie qui passera des prix au chômage. C’est pourquoi on parlera désormais du chômage comme la « variable d’ajustement » de l’économie. Que signifie cette expression ? Pour briser l’inflation, il existe un outil principal : la hausse des taux d’intérêt par les banques centrales. Elle a pour effet immédiat de renchérir le prix de l’argent, dissuadant les emprunteurs de s’endetter. Surtout si, parallèlement, les gouvernements suppriment l’échelle mobile des salaires et des prix (supprimée en France par le ministre socialiste Pierre Bérégovoy en 1982 après avoir été mise en place en 1952). Cette politique s’appelle « refroidir » l’économie.

 

Pour ralentir l’inflation, le choix parfaitement conscient sera celui du chômage

 

Car si l’augmentation des taux d’intérêt décourage l’emprunt, les entreprises vont ralentir leurs investissements, comme les ménages qui réduiront leurs achats immobiliers notamment dans le neuf. Résultat : l’activité économique diminue, le chômage augmente, le rapport de forces bascule en faveur des classes dominantes…

Nous sommes aujourd’hui toujours dans cette conception de l’économie qui a donné, d’un côté, des résultats épouvantables pour les classes dominées, et d’un autre côté d’excellents résultats pour les classes dominantes.

Après le tournant de 1979 engageant la lutte obsessionnelle contre l’inflation pour faire augmenter le chômage et redresser les marges des grandes entreprises, l'économie américaine plonge dans une forte récession. Certes l'inflation est brisée, tous les taux d'intérêt atteignent des niveaux réels très élevés, mais les premiers à en souffrir sont les pays endettés du Tiers-Monde. Avec l'inflation, ils bénéficiaient de taux très faibles, voire négatifs. Mais ils doivent désormais payer des taux positifs élevés sur les prêts à taux variable. Ils ne peuvent en conséquence refinancer les anciens prêts à taux fixe arrivés à maturité qu'au prix d'une forte augmentation des taux. Ce facteur nouveau affecte de façon négative le service de leur dette, qui absorbe une part croissante des devises qu'ils gagnent par leurs exportations.

Cette politique fut diffusée partout à partir de 1980, imposant progressivement au reste du monde des politiques néolibérales. Cela modifia fondamentalement les conditions du financement intérieur et extérieur des économies nationales. Pour les pays du Tiers-Monde, la hausse des taux d’intérêt impliqua un triplement des charges à rembourser, car les emprunts contractés dans le courant des années 70 contenaient une clause prévoyant l’indexation des taux en fonction de l’évolution du Libor (London interbank offered rate : taux interbancaire pratiqué à Londres servant de référence du marché monétaire de différentes devises). Dans le cas de l’Amérique Latine, le taux d’intérêt réel est passé d’une moyenne de -3,4% entre 1970 et 1980, à +19,9% en 1981, +27,5% en 1982 et +17,4% en 1983.

La contraction des marchés d’exportation et la baisse des revenus qui en a découlé provoquèrent un déficit commercial pour les pays du Sud. Cette contraction – due à l’éclatement en 1980-1981 de la deuxième récession généralisée depuis celle de 1974-1975 – et la chute drastique du prix des matières premières, créèrent une situation d’étranglement financier pour les pays du Tiers-Monde dès août 1982.

 

Les marchés obligataires ont fait leur mue à la faveur de la banqueroute des pays pauvres

 

Au milieu des années 70, l’envolée des prix pétroliers avait laissé croire à une modification durable des termes de l’échange au profit des producteurs d’énergie et de matières premières. Les termes de l’échange sont le rapport entre les prix des biens exportés et ceux des biens importés. Leur calcul sert de critère d’appréciation de la solvabilité des pays emprunteurs. La capacité d’emprunt d’un pays se réduit quand il se détériore. Or, la solvabilité des pays pauvres exportateurs de ces matières premières semblait renforcée par le renchérissement brutal des prix des hydrocarbures. Les banques des pays riches, associées en syndicats, leur offrirent de financer leurs programmes de développement économique par des prêts massifs qu’encourageaient deux facteurs supplémentaires : les taux d’intérêts réels à long terme, rendus négatifs par la forte inflation du moment, et la croissance ralentie des pays riches. Non seulement les prix relatifs des matières premières n’augmentèrent pas, à l’exception des prix pétroliers, mais l’évolution économique se fit à contre-courant des intérêts objectifs de leurs producteurs. La forte appréciation du dollar à partir de 1980 rendit insupportable le service d’une dette précisément libellée dans cette devise. La faillite mexicaine déclarée au printemps 1982 clôtura l’épisode.

On ne saurait donc séparer le nouveau contexte financier de la victoire concomitante sur l’inflation. L’érosion monétaire ramenée à des proportions modestes favorisait évidemment l’extension des marchés obligataires. La désinflation laissait espérer aux souscripteurs que le rendement des obligations pourrait se maintenir à un niveau bien meilleur que dans le passé récent.

 

L’année 1982, charnière de l’essor des marchés de capitaux, est précisément l’année de la prise de conscience

 

À l’automne, la banque centrale américaine pu mettre un terme à trois années de restrictions monétaires décidées pour briser la grande inflation de la décennie précédente. En asséchant l’économie américaine, le responsable du Federal Reserve, Paul Volcker, avait certes provoqué une grave récession, mais il avait obtenu un changement complet de la politique salariale des entreprises. Le rythme des salaires avait été ramené au bas niveau compatible avec une désinflation durable. Au-delà d’un refroidissement conjoncturel, la politique américaine avait déterminé une reconfiguration.

Soulignons l’attrait spécial du marché obligataire dans la conjoncture désinflationniste de la première moitié des années quatre-vingt. Dans la deuxième moitié de la décennie, les taux à long terme se sont stabilisés à un haut niveau assurant, grâce à la désinflation, une rémunération élevée aux détenteurs d’obligations, pour toutes les monnaies de référence. La politique anti-inflationniste a, par son succès, ouvert la voie à une hausse historique des taux d’intérêt réels à long terme sous l’impulsion des grands souscripteurs d’obligations. Au début des années 80, les capitalisations boursières des pays d’Amérique Latine représentaient seulement de 5 à 10% de leur PNB, tandis qu’en 1993, elles se situaient entre 50 et 100% du PNB.

 

Les socialistes français se rallient au néolibéralisme

À la différence des autres pays, la France choisit à juste titre, en 1981, au moment de l’arrivée de la gauche au pouvoir, une politique de relance. Elle se brisa sur la « contrainte extérieure » (nom donné aux politiques restrictives conduites dans les autres pays). Pour ne prendre qu'un exemple, alors que le commerce mondial de produits manufacturés baisse de 3% en 1982, les exportations de la RFA vers la France augmentent de 29% au cours du premier semestre de la même année.

 

Avec le plan d’austérité de Jacques Delors, en 1982, le Parti socialiste se convertit aux thèses néolibérales et à celles du monétarisme

 

Résultat : politique économique restrictive, redistribution des revenus et des salaires vers les profits, en attendant que, « spontanément » mais beaucoup plus tard, s'annoncent des jours meilleurs. Qui ne viendront d’ailleurs jamais…

La reprise attendue ne s’est pas produite, et le gain de croissance de la France, par rapport aux autres pays, engendra une forte détérioration des soldes publics et de la balance des paiements, dont le déficit devint considérable en 1982 (112 milliards de francs). La dévaluation du franc devenait inévitable (trois dévaluations successives marquèrent ce glissement vers davantage d'austérité en septembre 1981, juin 1982 et mars 1983), mais elle ne pouvait qu'être insuffisante dans le cadre du Système monétaire européen (SME) pour résoudre à elle seule le dilemme politique. Le choix politique apparent était alors le suivant : rester dans le SME ou laisser la monnaie se déprécier librement en quittant le système.

Ce choix européen de la rigueur, auquel se rallia la France après sa brève « incartade » de 1981-1982, ne donna pas les résultats escomptés. Pourquoi ? Parce que la politique qui consiste à importer moins (par l’austérité) et à exporter davantage en faisant pression sur les salaires, si elle est possible lorsqu’un seul pays la mène, aboutit à une contradiction lorsqu'elle est pratiquée par l'ensemble des pays : tout le monde ne peut se fixer la même priorité aux exportations. Ce caractère non-coopératif des relations internationales, en aggravant la « contrainte extérieure », conduit en effet les gouvernements, quelles que soient leurs intentions de départ, à adopter plus ou moins explicitement des politiques restrictives. L'augmentation du chômage devient un substitut au protectionnisme, un instrument qui permet, pense-t-on, d'atteindre un objectif d'ordre supérieur : l'équilibre des échanges extérieurs et le maintien de la parité de la monnaie.

 

Cette expérience montre que la relance de la consommation se heurte désormais à l'interdépendance des économies et débouche finalement sur une augmentation des importations pouvant devenir supérieure aux exportations

 

En France, le tournant vers la rigueur de 1982 et le supplément de rigueur du printemps 1983, doivent être compris moins comme des conséquences inéluctables de la politique de relance de la période 81-82, que comme le fruit des hésitations à oser rompre avec les logiques des marchés financiers et des relations commerciales internationales.

Sur le vieux continent, la « rigueur » est devenue le maître mot des politiques macroéconomiques : rigueur budgétaire, visant à diminuer les dépenses publiques plus que les recettes, selon une vision libérale de désengagement de l'État combinée avec le souci de l'équilibre budgétaire ; rigueur monétaire, afin de réduire encore l'inflation – déjà très faible, pourtant, quel que soit le point de comparaison choisi - selon des préceptes monétaristes orthodoxes. Dans des pays comme la France ou l'Italie, la rigueur monétaire et salariale procédera du souci de maintenir la parité vis-à-vis du mark. Tous les discours français expriment l'idée que l'objectif primordial de la politique économique est désormais de réduire le différentiel d'inflation avec l'Allemagne, de devenir, en matière de prix, aussi « vertueux » que ce pays.

 

Les politiques néolibérales et le « consensus de Washington »

Le néolibéralisme a pour synonymes l’école néoclassique ou l’ultralibéralisme. Il désigne les politiques décidées lors du G5 de Tokyo en 1979 et celles menées juste après par Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux États-Unis. On y ajoute l’action des institutions supranationales comme le Fonds monétaire international, l'Organisation mondiale du commerce, la Banque mondiale, l'Union européenne aujourd'hui. La formalisation la plus claire est certainement celle utilisée dans le « consensus de Washington », faite par l’économiste américain John Williamson en 1989. L’expression vient du fait que la ville de Washington accueille les sièges du FMI, de la BM et du Trésor américain. Le personnel de ces institutions, interchangeable, est parvenu à un consensus sur la politique mondiale résumé en 10 recommandations :

  • Discipline budgétaire stricte (équilibre des dépenses et des recettes).
  • Réorientation de la dépense publique (vers des secteurs de forts retours économiques sur investissements, diminution des inégalités de revenu).
  • Réforme fiscale (élargissement de l'assiette, diminution des taux marginaux).
  • Stabilité monétaire (inflation faible, réduction des déficits du marché, contrôle des réserves d’argent).
  • Adoption d'un taux de change unique et compétitif.
  • Libéralisation du commerce extérieur.
  • Élimination des barrières à l'investissement direct étranger.
  • Privatisation des entreprises publiques (pour une meilleure efficacité et pour réduire l'endettement).
  • Dérèglement des marchés (fin des barrières à l'entrée ou à la sortie).
  • Prise en compte des droits de propriété (incluant la propriété intellectuelle).

Le FMI et la BM n’accorderont des aides aux pays pauvres qu’à la condition qu’ils adoptent des politiques inspirées de ce « consensus », et qui se traduiront dans les « plans d’ajustement structurel ».

 

Le « monétarisme » peut être considéré comme une branche du néolibéralisme

 

Il apparaît à peu près à la même période que le néolibéralisme (en 1968), son chef de file était Milton Friedman (1912-2006). Sa thèse repose sur la nécessité d’un contrôle strict de l’émission monétaire, car là se trouverait l’origine de l’inflation et du chômage qui ralentissent l’économie. La monnaie ne devrait être qu’un simple instrument de l’échange ne jouant aucun rôle dans la création de richesses. La monnaie devrait être « neutre », la masse monétaire devrait progresser au même rythme que l’accroissement de la production. Il ne faut donc pas utiliser la politique monétaire pour faire de la relance économique et combattre le chômage. Au contraire, l’équilibre budgétaire serait requis, les banques centrales devraient être absolument indépendantes du pouvoir politique.

 

Friedrich von Hayek fonde les bases du néolibéralisme, un excellent système économique pour les classes dominantes

Le néolibéralisme a été élaboré et diffusé par une poignée de Think-Tanks (boites à idées) à partir des lendemains de la Seconde Guerre mondiale en Europe de l'Ouest et en Amérique du Nord. Il traduit une réaction théorique et politique radicale des classes dominantes contre « l'interventionnisme étatique » et « l'État social ». Sont contestés dans le même mouvement le « socialisme » de l’URSS, le freudisme, le keynésianisme, le marxisme, le New Deal de Franklin Roosevelt aux États-Unis, le Front populaire en France, les politiques suivies en Europe au lendemain de la guerre, le Parti travailliste anglais, mais aussi le nazisme allemand et le fascisme italien. Friedrich von Hayek, économiste autrichien enseignant à la London School of Economics, publie en 1944 The Road to Serfdom (La route de la servitude) qui constitue la charte fondatrice du néolibéralisme. Il n’existe toutefois aucun automatisme entre l’élaboration d'une idée et son adoption par un parti politique, puis par l’opinion publique et enfin par un gouvernement. C'est à partir de ce constat de bon sens qu’une poignée d’intellectuels néolibéraux ont décidé de créer dans le même effort, l’idéologie de leur reconquête et les conditions pratiques pour que cette idéologie devienne une force politique. Cette démarche s’est développée plus rapidement en Grande-Bretagne en fonction de la situation politique particulière qui y régnait et de la présence de von Hayek.

Cette idéologie et les méthodes utilisées pour la diffuser se sont avérées extrêmement efficaces en appliquant ce que l'intellectuel marxiste italien Antonio Gramsci appelait « hégémonie culturelle ».

 

Les quelques intellectuels réunis autour de von Hayek sont parvenus à faire apparaître le néolibéralisme comme la condition naturelle et normale de l'Homme et de l’organisation des sociétés

 

Ainsi, une petite secte impopulaire à ses débuts et n'ayant aucune influence, est devenue pendant un temps la religion mondiale la plus importante avec son dogme, ses prêtres, ses institutions, son enfer pour les hérétiques et les pêcheurs qui osent contester la vérité révélée. Pourtant, en 1945 ou 1950, dans les pays occidentaux, tout le monde était keynésien, social-démocrate, démocrate-chrétien ou encore marxiste. L'idée qu'on devait permettre au marché de prendre des décisions sociales ou politiques importantes, que l'État devrait s’abstraire de tout rôle dans l'économie ou que les entreprises devraient être complètement libres, que les syndicats devraient être jugulés et qu'on devrait réduire le niveau de protection sociale aux citoyens au moment où l’on inventait la Sécurité sociale, de telles idées étaient totalement étrangères à l'esprit de l'époque.

Globalement, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le monde s'était engagé sur une voie extrêmement favorable aux classes dominées. Que s’est-il donc passé ? Comment le néolibéralisme a-t-il un jour pu sortir de son ghetto ultra-minoritaire pour devenir la doctrine dominante à l’échelle mondiale depuis plusieurs décennies ? Pourquoi l'État-Providence est-il menacé dans tous les pays où il avait été établi ? Comment se fait-il qu'on en soit venu à considérer comme honorables des activités lucratives telles que le commerce pour lui-même et la banque, alors même qu'elles avaient été réprouvées et honnies durant des siècles, parce qu'on y voyait l'incarnation de la cupidité, de l'amour du gain et de l'avarice ?

 

L’origine de la contre-révolution néolibérale est clairement établie

 

Il s’agit principalement de la Société du Mont-Pèlerin, créée en 1947 par Friedrich von Hayek, Milton Friedman, Karl Popper et une poignée d’autres intellectuels. Financés par quelques multinationales américaines et suisses, ils ont créé progressivement un gigantesque réseau international de fondations, instituts, centres de recherche, publications, chercheurs, écrivains et experts en relations publiques, journalistes, pour développer, présenter de manière pédagogique et attirer l'attention sur leurs idées et leur doctrine. Ils mettront près de trente ans avant de gagner la bataille intellectuelle vers le milieu des années 70, puis de commencer à perdre la main à partir de 1995.

Dès 1945, dans divers milieux académiques et cercles du « monde des affaires », éclosent en Occident, à la même période, des projets visant à réunir les défenseurs des classes dominantes afin d'organiser une riposte d'ensemble aux tenants de « l'interventionnisme d'État et du socialisme ». Trois centres sont alors en pointe : l'Institut universitaire des hautes études internationales (IUHEI) à Genève, la London School of Economics (LSE) et l'Université de Chicago où se retrouvent des économistes formés par « l'école autrichienne » des années 20 et 30, dont Ludwig von Mises a été l'un des maîtres.

 

On situe généralement les débuts des Think-Tanks au 26 août 1938

 

Ce jour-là, le journaliste américain vedette Walter Lippmann[6] réunit ceux qui souhaitaient devenir « l'avant-garde intellectuelle du libéralisme économique militant ». Y participent entre autres Friedrich von Hayek[7], qui devait par la suite battre Keynes et le keynésianisme, et Ludwig von Mises son maître à penser. Tous les participants se trouvent d'accord pour désigner le « collectivisme » comme l'ennemi à abattre. Dans leur esprit, le « collectivisme » ne concerne pas seulement l’URSS. Il vise également l’expérience du New Deal aux États-Unis, le Front populaire en France et le Parti travailliste anglais, tout comme les régimes dictatoriaux allemands, italiens et japonais.

Ainsi, pour Ludwig von Mises : « Le drame moral de notre époque, c'est l'aveuglement des hommes de gauche qui rêvent d'une démocratie politique et d'un planisme économique, sans comprendre que le planisme économique implique l'État totalitaire et que le socialisme libéral est une contradiction dans les termes. Le drame moral de notre époque, c'est l'aveuglement des hommes de droite qui soupirent d'admiration devant les gouvernements totalitaires, tout en revendiquant les avantages d'une économie capitaliste, sans se rendre compte que l'État totalitaire dévore la fortune privée, met au pas et bureaucratise toutes les formes de l'activité économique d'un pays[8] ». Ils veulent créer un centre international pour la rénovation du libéralisme, dont la mise en œuvre sera interrompue par la guerre. Ils reprendront leurs activités au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour populariser l’idéologie de Friedrich von Hayek, principalement à partir de la création de la Société du Mont-Pèlerin.

Pour saisir la portée de la pensée de von Hayek, on peut se reporter à Margaret Thatcher qui confie dans son livre Les chemins du pouvoir : « Ce ne fut qu'au milieu des années 70, quand les œuvres de Hayek figurèrent en haut de la liste des lectures que me donna Keith Joseph[9], que je saisis réellement les idées qu'il avançait. C'est alors seulement que je considérai ses arguments du point de vue du type d'État cher aux conservateurs - un gouvernement limité, sous le règne de la loi - plutôt que du point de vue du type d'État à éviter - un État socialiste où les bureaucrates gouvernent sans frein. À ce stade, c'étaient les critiques, selon moi irréfutables, du socialisme contenues dans La Route de la servitude qui avaient un impact[10] ».

 

Friedrich von Hayek est universellement reconnu comme étant le père fondateur de la théorie néolibérale

 

Prix Nobel d’économie en 1974, il étudia également la psychologie, la philosophie politique, l’anthropologie, la philosophie des sciences et l’histoire des idées. Il a bâti le soubassement théorique du capitalisme contemporain. On peut résumer sa pensée aux deux éléments suivants : il faut se « soumettre aux forces impersonnelles du marché », et les syndicats « faussent le marché du travail », leur « pouvoir » doit donc être « limité ». La clé de voûte de la pensée néolibérale est exprimée dans La Route de la servitude par von Hayek : « C'est la soumission de l'homme aux forces impersonnelles du marché qui, dans le passé, a rendu possible le développement d'une civilisation qui sans cela n'aurait pu se développer ; c'est par cette soumission que nous participons quotidiennement à construire quelque chose de plus grand que ce que nous tous pouvons comprendre pleinement[11] ». Cet énoncé contient deux postulats majeurs du néolibéralisme.

 

Tout d’abord, se soumettre « aux forces impersonnelles du marché »

 

Cela signifie que le système des prix doit servir de référence absolue à l'activité sociale, économique et politique. Il est le concentré, le précipité le plus parfait de la société néolibérale. Or le socialisme préconise le remplacement du marché par un plan central. Une institution devra donc établir ce plan. Von Hayek l’appelle le « Bureau central du Plan » qui sera conduit à exercer un pouvoir discrétionnaire sur l’économie puis sur les individus et les groupes. N’ayant pas de prix de marché pour lui servir de guide, ce Bureau central du Plan n’aura aucun moyen de savoir quelles sont les productions pouvant et devant être réalisées. Pour lui, l’absence d’un système de prix provoquera fatalement l’effondrement du socialisme.

Pour Friedrich von Hayek, l’activité économique ne peut donc être planifiée et coordonnée depuis un Bureau central. Le socialisme se trouvera devant l’impossibilité de collecter et d’analyser les préférences et les compétences des groupes et des individus. Seul un système de décisions décentralisées et de marché – la « main invisible » - est « réaliste », selon lui, dans une économie moderne et complexe. Les arguments de von Hayek ne manquent pas de force et de bon sens. D’ailleurs les pays qui se réclamaient du « socialisme » se sont effondrés, comme l’anticipait Hayek dès les années 30. Mais la cause principale de leur effondrement est-elle à rechercher seulement du côté de la planification centralisée ? L’argument principal que l’on peut opposer à Hayek consiste à ne pas opposer radicalement le plan et le marché comme il le fait, mais à leur trouver des vertus complémentaires.

 

Un système de planification est nécessaire s’il est démocratique, décentralisé et s’il porte sur des biens et services structurants pour l’intérêt général

 

En revanche, un système de marché et de prix de marché est nécessaire pour permettre la liberté d’entreprendre à l’intérieur de certaines limites, en cohabitant avec un vaste secteur de gratuité, s’accompagnant d’un filet de sécurité pour les « perdants du marché » et portant sur des biens et services non structurant pour l’intérêt général.

Ensuite, selon Hayek et les néolibéraux, le marché capitaliste serait un système de « coordination neutre », impersonnel, « bénéfique universellement » et traduisant un ensemble de mécanismes fonctionnant « spontanément ». Cette théorie prétend ainsi avoir démontré que l’allocation des ressources (les richesses produites) effectuée par le simple jeu des mécanismes du marché est non seulement la meilleure, mais la seule possible. Le marché concurrentiel, selon cette conception, à condition d'être « pur » et « parfait », sans « entraves » venant de l’extérieur (l’État), conduirait à l’optimum social. Il apporterait automatiquement la justice, sans que l’on fasse de celle-ci un objectif en soi. Il est d’ailleurs saisissant de constater la similitude de ce point de vue et celui de la théorie des « forces productives » de Staline. Pour ce dernier, le « développement des forces productives », en lui-même, devait aboutir à la création d’un « homme nouveau » : le seul mouvement de l’économie apporterait le bonheur.

Dès lors, la liberté d'entreprendre et la propriété privée des moyens de production et d’échange accompagnée de la concurrence, seraient le moyen le plus sûr pour que les clients bénéficient du meilleur service au moindre coût. Les capitalistes seraient donc « contraints » de satisfaire les consommateurs pour parvenir à leurs fins. C'est ainsi que, par extension, l'entreprise privée concurrentielle est jugée toujours plus efficace et efficiente que l'organisation non lucrative et le service public. La privatisation et la « marchandisation » maximale de tous les services apparaissent alors pour les néolibéraux comme les solutions les meilleures. L’argument que l’on peut opposer à cette théorie repose sur la simple observation de la réalité.

 

Nulle part le capitalisme n’est parvenu à réaliser les objectifs qu’il proclame

 

Certes, rétorquent les néolibéraux, c’est exact, mais la cause tient au fait que de multiples « réglementations entravent la liberté des marchés » et les empêchent de tendre vers une situation « pure » et « parfaite ». On peut répondre à cela que les pays qui ont « tendu » vers cette situation – la Grande-Bretagne et les États-Unis – ne sont pas non plus parvenus à cet objectif.

Deuxième élément fondamental de la pensée de von Hayek et des néolibéraux : les syndicats faussent le fonctionnement du marché libre et deviennent les responsables du chômage. « S'il y a un seul espoir de revenir à une économie libre, la question de comment la force des syndicats peut être délimitée de façon appropriée aussi bien dans la loi que dans les faits est un des thèmes les plus importants de tous ceux auxquels nous devons dédier notre attention[12] ». Il considère que les syndicats perturbent le système des prix, lequel est le fondement de l’économie de marché. Si un prix, par exemple le salaire, est « stabilisé » par un accord syndical (le SMIC), von Hayek considère que la catastrophe menace. « Jamais une classe ne fut exploitée d'une façon plus cruelle que ne le sont les couches les plus faibles de la classe ouvrière par leurs frères privilégiés, exploitation rendue possible par la ‘‘réglementation’’ de la concurrence. Peu de slogans ont fait tant de mal que celui de la ‘‘stabilisation’’ des prix et des salaires : en assurant les revenus des uns, on rend la situation des autres de plus en plus précaire », peut-on lire dans La Route de la servitude. On peut rétorquer que l’expérience historique, particulièrement au XIXe siècle, dément catégoriquement cette analyse. Au XIXe siècle, les employeurs jouissaient d’une double liberté : celle des affaires puisque leur activité était peu réglementée ; celle du travail puisqu’il n’existait pas encore de syndicats. Non seulement les fléaux sociaux comme les bas salaires, l’exploitation des enfants, le chômage n’étaient pas inexistants, mais ils étaient infiniment plus développés qu’au moment où le capitalisme a commencé à être régulé.

 

La création et l’activité de la Société du Mont-Pèlerin

La Société du Mont-Pèlerin, probablement la première officine néolibérale, est considérée comme la « maison-mère » des Think-Tanks néolibéraux. Elle a travaillé à contre-courant du consensus général jusqu'au milieu des années 1970, période qui marque sa victoire intellectuelle et la reconnaissance de son leader, Friedrich von Hayek, récompensé par l’attribution du prix Nobel d’économie en 1974. Elle naît en Grande-Bretagne où enseigne Hayek et où les travaillistes arrivent au pouvoir en 1945.

 

À cette époque, la cible immédiate de von Hayek est le Parti travailliste anglais

 

Les élections s'annoncent en Grande-Bretagne et ce parti va finalement les gagner en juillet 1945, portant Clement Attlee au poste de Premier ministre. La politique de Clement Atlee s’inspire de John Maynard Keynes, ce dernier étant convaincu que « pour assurer la survie du capitalisme […] il fallait une intervention résolue de l'État dans les domaines économique et social[13] ». Cette victoire des travaillistes, comme la situation politique dans la plupart des pays occidentaux, est perçue comme un échec par le petit groupe constitué autour de von Hayek. Ils décident de rassembler des fonds pour tenir une conférence internationale susceptible de fédérer les intellectuels libéraux. Celle-ci se tiendra en Suisse, au Mont-Pèlerin.

Trente-six personnalités participent à la conférence du Mont-Pèlerin du 1er au 10 avril 1947. Des représentants de trois importantes publications américaines ont fait le déplacement (Fortune Magazine, Newsweek, The Readers' Digest). Les participants les plus connus sont Maurice Allais, Milton Friedman, Friedrich von Hayek, Karl Popper.

Le discours d'ouverture fixe l’orientation commune : « La plupart des politiques à travers le monde sont en fait non-libérales et c'est parce que l'on croit qu'elles devraient être libérales que nous nous rassemblons ici aujourd'hui.[14] »

 

Si la Société du Mont-Pèlerin a joué un rôle moteur dans la contre-révolution néolibérale, d’autres Think-Tanks y ont également contribué de façon non négligeable

 

On peut prendre l’exemple de l’Institute of Economics Affairs (IEA), du Center for Policy Studies (CPS) et de la Commission trilatérale.

L’Institute of Economics Affairs est créé en 1955 par F. von Hayek et aura une influence considérable. L'IEA se fixe pour ambition de transformer la société britannique à partir de ses bases économiques, ses membres se considérant comme des « révolutionnaires ». Ses textes, à partir de 1957, traitent de la nécessité d'une monnaie forte, de finances publiques « saines », de la « lourdeur » de l'État-providence, de la nécessité de « réduire l'État », dénoncent les privilèges syndicaux et les « barons ouvriers », les insuffisances et les lourdeurs des services publics et préconisent l’introduction des logiques de marché dans tous les domaines de la vie économique et sociale. Arthur Seldon, président fondateur de l'IEA, résume son objectif : « briser la domination du parti travailliste sur la classe ouvrière et détruire à jamais le socialisme ». L'IEA, dès ses débuts, entreprend la formation intellectuelle des jeunes radicaux conservateurs dont certains allaient former la « garde rapprochée » de Margaret Thatcher. Avec la Société du Mont-Pèlerin, l’IEA fut l’un des premiers Think-Tank britannique à vulgariser les théories de F. von Hayek et à le faire connaître par des publications et des relais journalistiques ainsi que par des séminaires-déjeuners où se débattent les publications du Think-Tank et se côtoient économistes de la City, journalistes des principaux quotidiens britanniques, responsables politiques et universitaires. L'IEA développa une stratégie de lobbying, notamment auprès de la presse, la première cible étant le très conservateur Daily Telegraph. Puis le Times et The Guardian, journal de centre-gauche, enfin le Financial Times, dont plusieurs journalistes étaient devenus membres de la secte, ont relayé l’idéologie de l’IEA. Ce dernier journal se distingua en affirmant : « Toute tentative de faire passer le chômage en dessous de ce niveau soutenable engendrera non seulement de l'inflation mais une accélération de l'inflation, avec, au bout, l'effondrement de la monnaie ».

 

Le Center for Policy Studies (CPS) fut probablement le Think-Tanks qui eut l’action la plus directement politique

 

Après la défaite des conservateurs en Grande-Bretagne en 1974, des rencontres sont organisées entre dirigeants politiques de droite et intellectuels libéraux radicaux. Elles débouchent sur la création d'une structure plus efficace que les Think-Tanks existants, qui pourrait concentrer tous ses efforts sur le parti conservateur. Ce dernier, selon les partisans du conservatisme radical, restait le dernier maillon du consensus keynésien à droite. C'est ainsi que s’est créé en 1974 le Center for Policy Studies (CPS) qui souhaitait profiter des électrochocs qu'ont été les deux défaites successives des conservateurs pour transformer le parti. Dès son origine, il fut « le plus politique des Think-Tanks de droite » et fut utilisé par Margaret Thatcher dans son combat à l’intérieur du Parti conservateur. Elle y retrouva Keith Joseph, son mentor et, comme elle, ancien membre du gouvernement Heath de 1970 à 1974. K. Joseph, tête pensante de ce Think-Tank et ministre de l'Industrie en 1979 puis ministre de l'Éducation en 1981, confia que son objectif était de « convertir le Parti conservateur (...), d'articuler en termes politiques la pensée de l'IEA » grâce à la création du CPS. La couverture médiatique offerte aux discours de K. Joseph et Margaret Thatcher renforcèrent leurs idées au sein de leur parti et affaiblirent le courant modéré incarné par E. Heath.

 

C'est dans ce contexte que Margaret Thatcher fut élue à la tête du Parti conservateur en 1975

 

Au sein du CPS, le travail intellectuel s'effectue sous forme de groupes d'études, par exemple dans les domaines de la santé publique et de l'énergie afin d'y faire entrer des critères de marché. C'est dans le domaine syndical que l'impact sera le plus important. Le CPS mit, en effet, immédiatement au point une offensive antisyndicale, théorisée par K. Joseph et F. von Hayek pour museler le mouvement syndical. Elle sera reprise par Margaret Thatcher une fois devenue Premier ministre qui recrutera plusieurs membres de son cabinet au sein du CPS. Cette initiative n’avait rien d’original, car les Think-Tanks néolibéraux ont pour objet social la lutte contre les syndicats et la transformation/destruction de l'État-providence. Le combat antisyndical aboutira à la défaite historique des syndicats en 1984-1985, lors de la grande grève des mineurs, et conduira à une succession de lois antisyndicales. Une cinquantaine d’intellectuels tout au plus ont mené à bien ce travail de subversion néolibérale.

La Commission trilatérale[15] apparaît à la fin des années 70, au moment de la présidence de Jimmy Carter, en publiant un premier rapport intitulé « La gouvernabilité des démocraties ». Dans ce document, qui analysait les conditions nécessaires « à un plus large développement de la démocratie », il était suggéré, de façon explicite, de limiter la participation des citoyens. Cette méthode paraissait la plus efficace pour enrayer les « excès » inhérents à la démocratie. En d’autres termes, il s’agissait de démobiliser pour survivre après la grande peur de 1968 qui avait ébranlé l’ensemble du monde occidental.

 

La mondialisation néolibérale

Pour parler de la démondialisation, il est nécessaire de préciser ce que le Pardem entend par mondialisation.

 

La confusion la plus indescriptible règne à propos de la « mondialisation », de ses causes, et de la nature exacte du phénomène

 

Le mot est pourtant omniprésent dans le discours des responsables politiques comme dans le jargon des journalistes. Il est souvent suivi d’un qualificatif, dont on entrevoit qu’il sert à donner un semblant de contenu, comme « libérale », « néolibérale », « financière », « capitaliste »… Pour certains, la « mondialisation » n’aurait pas de causes. Elle serait « là », et il faudrait « s’adapter ». Face au phénomène, les peuples et les nations n’ayant plus le choix, il faudrait désormais s’accommoder de la « mondialisation », ou simplement « corriger les excès de la mondialisation », ou encore « réguler la mondialisation ». Autrement dit, réguler la dérégulation ! Pour d’autres, la « révolution informationnelle » ou « l’interdépendance des économies » expliquerait la « mondialisation », par un raisonnement circulaire qui ressemble à celui qui consiste à s’interroger sur l’antériorité de l’œuf ou de la poule. Faisons observer à ceux qui prétendent que la « mondialisation » serait la suite naturelle de la « révolution des technologies de l’information et de la communication », qu’on ne voit pas en quoi cette éventuelle révolution devrait conduire automatiquement à la marchandisation du monde, qui est la marque principale de la « mondialisation ». C’est en réalité le contraire qui est vrai : ce sont les stratégies de mondialisation et les inégalités actuellement existantes qui privilégient un certain type de progrès scientifique et technique. Le risque est grand, mais il n’est pas fatal, que les « nouvelles technologies de l’information et de la communication » soient mises au service de nouveaux maîtres du monde.

La « mondialisation » est une stratégie qui a commencé à se mettre en œuvre au début des années 80, autour de laquelle s’ordonnent la plupart des transformations du monde contemporain. Elle vise à la création d’une société radicalement nouvelle, présentant dans tous les domaines les caractéristiques d’un ordre nouveau, et même celle d’un « homme nouveau ».

 

Il existe évidemment une dynamique propre au capitalisme, mais la « mondialisation » est une volonté, elle est une stratégie

 

C’est la stratégie des classes dominantes visant à réorganiser les activités productives à l’échelle mondiale, afin de rediscipliner le salariat des pays occidentaux notamment par le chômage, et les peuples des pays pauvres par la dette, afin de redresser la productivité et les profits qui avaient eu tendance à baisser.

La « mondialisation » est censée permettre une meilleure efficacité économique, des gains de productivité, grâce au libre-échange et à ce que les économistes appellent « l’allocation optimale des ressources ». C’est très loin d’être prouvé. Ce qui est vrai, c’est qu’il existe des possibilités immenses de progrès de productivité à l’échelle de la planète soit en produisant davantage de biens et de services utiles aux populations tout en diminuant l’ empreinte écologique, soit en consommant moins de matières premières et en limitant les gaspillages, soit encore en soulageant la peine des hommes par une diminution des travaux pénibles et dangereux. Il est vrai, aussi, que les progrès techniques offrent des possibilités encore accrues, par exemple en matière d’éducation, en limitant des transports de marchandises ou en évitant des déplacements inutiles de personnes. Ce qui est faux, c’est que l’on puisse espérer ces progrès par le jeu de la mondialisation financière et du libre-échange. Pourquoi ?

 

Des années 60 à la fin des années 70, les forces patronales et conservatrices ont été affaiblies par la montée des luttes sociales dans les pays occidentaux et de libération nationale dans les pays du Sud

 

La productivité et les profits avaient baissé dans des proportions importantes, des acquis sociaux de grande ampleur avaient été obtenus par les travailleurs, l’ « anticapitalisme » et la recherche des moyens de « changer la vie » étaient à leur apogée. La contre-révolution alors engagée par les classes dominantes, afin de reprendre la main pour redresser les profits et la productivité, s’appelle la « mondialisation ».

La mondialisation est la mise en œuvre pratique des théories néolibérales. C’est pourquoi parler de mondialisation « néolibérale », ou « capitaliste », ou autre chose encore, n’a aucun sens : la mondialisation, par construction, est le néolibéralisme. De la même manière, revendiquer une « autre » mondialisation, n’a pas de sens non plus. Faudrait-il revendiquer un « autre néolibéralisme » ? Aucun contenu précis n’a d’ailleurs jamais été associé à ce vœu pieux au demeurant fort sympathique. Au lieu d’inventer ce genre de « concepts » sans contenu, mieux vaut rester sur le terrain solide des mouvements qui parlaient de l’ « internationalisme » ou de la « coopération internationale entre les peuples ».

Jusqu’à la fin des années 70, les luttes sociales et de libération nationale ont pu imposer au capitalisme une baisse de la rentabilité du capital, une augmentation des salaires réels, des progrès démocratiques, une amélioration significative de la protection sociale, de la norme d’emploi et un plein-emploi relatif. C’est la période des Trente Glorieuses qui suit celle de la Libération et qui voit s’épanouir l’État-social dans les pays occidentaux. Le patronat et les forces conservatrices ne pouvaient pas ne pas réagir. C’est à partir du début des années 70 que la stratégie de mondialisation commence à s’ébaucher, le capitalisme tente de redresser la situation en sa faveur, ce sont les politiques de « mondialisation ».

 

La contre-révolution néolibérale s’élabore peu à peu, notamment dans le cadre de fondations et Think-Tanks (boîtes à idées) largement financées par les firmes multinationales américaines

 

Elle prend la forme d’un effort théorique et « pédagogique » considérable autour d’une quinzaine d’idées qui en constituent le « corps de doctrine ». Une nouvelle idéologie dominante est bâtie de toute pièce, qui pénètre l’ensemble des représentations mentales, infiltre les discours politiques et syndicaux, fournit une légitimation pseudo-scientifique et des schémas de pensée aux journalistes et aux chercheurs. La gauche est submergée. Les grands médias sont domestiqués et servent de vecteur à cette idéologie.

 

« Rediscipliner » le salariat

Parallèlement, cette révolution se traduit par une action concrète dans les entreprises, pour « rediscipliner » le salariat et affaiblir les syndicats en modifiant les techniques de gestion/manipulation : ce sont les « nouvelles techniques de management ». Pour reprendre la main face à la « désorganisation » dans les entreprises après 1968, les collectifs salariés sont progressivement déconstruits par le patronat afin de « gérer » des individus ; c’est la démolition des frontières traditionnelles de l’entreprise par l’organisation méthodique de la flexibilité et de la sous-traitance qui font supporter les risques du marché aux salariés ; c’est l’affaiblissement du syndicalisme par le changement de stratégie du patronat qui cherche désormais à les contourner ; c’est la remise en cause des normes d’emploi et de travail par les gouvernements successifs (diminution de la taille des entreprises, délocalisations et fin des grandes concentrations ouvrières, organisation de la précarité, facilitation des réductions d’effectifs, mise en place d’un « sous-marché du travail », déplacement de la négociation collective vers l’entreprise là où les syndicats sont faibles) ; la répression antisyndicale en France débouchant sur une véritable purification sociale qui aura été obtenue après vingt-cinq années d’efforts continus visant à briser le mouvement syndical dans le secteur privé (15 000 licenciements d’élus syndicaux par an en moyenne).

Dans le même temps, l’essoufflement des social-démocraties et l’écroulement du monde soviétique n’ont fait que désarmer un peu plus les forces censées représenter les classes dominées, affaiblissant l’idée même qu’une alternative au capitalisme était possible.

 

Un des événements les plus importants pour installer les politiques de « mondialisation » a lieu en juillet 1979, à Tokyo, lors de la réunion du G5, ancêtre du G8 d’aujourd’hui

 

L’application des nouveaux dogmes néolibéraux qui y est décidée projette le monde dans la dépression économique généralisée et le chômage de masse. Pour réagir au second choc pétrolier de 1979, les pays du G5 décident en effet de réduire volontairement la croissance (« refroidir » l’économie et donc l’emploi) par l’augmentation des taux d’intérêt décidée par les banques centrales. Le prétexte du pétrole, comme en 1973, est utilisé pour faire d’une pierre deux coups : redresser les marges des entreprises face à l’augmentation des prix du pétrole ; affaiblir le salariat par la compression des salaires et le chômage. C’est la fin des politiques keynésiennes.

Les politiques néolibérales de mondialisation ont été ensuite codifiées en 1989 et 1990 par John Williamson, économiste américain, sous l’appellation de Consensus de Washington. Cette expression décrit l’accord passé entre le Trésor américain et ses deux filiales que sont le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Le contenu de cet accord allait devenir le dogme des néolibéraux s’appliquant tout aussi bien aux politiques des pays du Sud, à celles des pays de l’ex-bloc soviétique (la « thérapie de choc »), qu’à celles des pays européens via le cheval de Troie de l’Union européenne. Cette dernière, en effet, ne vise pas à « construire l’Europe », mais à construire le néolibéralisme à l’européenne comme en témoignent les Traités de Maastricht et d’Amsterdam, ainsi que le Traité constitutionnel européen et sa version « modifiée » du Traité de Lisbonne.

 

Évangile néolibéral, le Consensus de Washington a inspiré les politiques publiques des décennies 1990 et 2000 à l’échelle planétaire

 

L’ « État-providence » est dans la ligne de mire des politiques néolibérales. Ce terme a été forgé sous le Second Empire par des républicains français qui critiquaient la philosophie trop individualiste de certaines lois (comme la loi Le Chapelier qui interdisait les syndicats), et préconisaient un « État social » se préoccupant de l’intérêt de chaque citoyen et de l’intérêt général. L’expression aurait toutefois été employée pour la première fois par le député Émile Ollivier en 1864, pour dévaloriser la capacité de l’État à mettre en place un système de solidarité nationale plus efficace que les structures de solidarité traditionnelles (comme les corporations interdites par la loi Le Chapelier).

La notion actuelle d’État-providence correspond au terme anglais de welfare state (littéralement : « État du bien-être »), forgé dans les années 1940, et qui coïncide avec l’émergence des politiques keynésiennes d’après-guerre. L’expression welfare state qui voulait frapper les esprits en s’opposant au warfare state de l’Allemagne nazie, aurait été créée par William Temple, archevêque de Canterbury. Cette appellation d’État-providence a un fond historique, toutefois elle présente un aspect péjoratif et elle est réapparue dans le langage courant dans les années quatre-vingt quand il s’est agi de le dévaloriser, de remplacer la notion de solidarité et d’aide par celle d’assistanat. C’était la grande époque de « vive la crise » et des livres à succès de François de Closet et de Michel Albert. Le Parti de la mondialisation lui préfère la notion d’État social, avec ses quatre piliers que sont la Sécurité sociale, le droit du travail, les services publics et des politiques économiques de soutien à la production et à l’emploi. Quatre piliers évoqués dans le programme du Conseil national de la Résistance, étant entendu que c’est justement à partir de 1945 que l’État social s’est pleinement déployé.

 

La réalité des années 2000 démontre l’échec total des prétentions affichées
par le monétarisme et le néolibéralisme en matière
de développement
de l’économie, d’emploi,
de réduction des inégalités, de stabilité financière…

 

Ces théories ont fait entrer les logiques de marché dans des domaines nouveaux, l’individu étant considéré comme un entrepreneur de lui-même, une sorte de capital vivant à faire fructifier. Les souverainetés nationales ont été aliénées au motif qu’une seule politique serait possible («There is no alternative »).

En revanche, les politiques néolibérales ont été un succès retentissant pour les plus riches, pour les classes dominantes. Elles sont parvenues à concentrer encore plus de richesses entre leurs mains, et n’ont aucun intérêt à tuer la poule aux œufs d’or. C’est le cas de l’Union européenne.

 

L’Union européenne, système le plus sophistiqué au monde pour construire une civilisation par le marché

Ce qui est appelé la « construction » européenne repose en réalité sur la libéralisation de tous les aspects de la vie sociale et économique : les marchés, le travail, la culture, l’éducation, le social, la finance… Il faudrait plutôt parler de la construction du néolibéralisme à l’européenne ! C’est non seulement l’effacement de toute volonté devant le marché total, mais c’est le projet terrifiant de faire du marché le mode principal de régulation de la société. L’Union européenne – il ne faut jamais cesser de le rappeler  est née de la seule volonté des États-Unis d’Amérique de se constituer une digue face à la menace du socialisme, le camp soviétique d’un côté, les partis communistes européens de l’autre. Cette stratégie a un nom, c’est la doctrine du containment (l’endiguement). Aucune véritable volonté européenne issue des Européens eux-mêmes n’existe et n’a jamais existé pour faire une Europe indépendante, démocratique et prospère.

 

L’impulsion initiale vient des États-Unis, dès 1942-1943, avec une accélération à partir de 1945

 

Le but : reconstruire le capitalisme après la Seconde Guerre mondiale, sous leadership américain pour faire face à l’URSS. Dans ce cadre, pour les dirigeants américains, des formes d’union européenne sont indispensables pour acheter la production de masse américaine, faire produire par l’Europe ses propres armements contre l’URSS, contrecarrer le communisme intérieur, particulièrement en France et en Italie.

Voilà ce que dit le pape du néolibéralisme, Friedrich von Hayek, dès 1939 : « La fédération [européenne] devra posséder le pouvoir négatif d’empêcher les États individuels d’interférer avec l’activité économique ». Il ajoute : « Une fédération signifie qu’aucun des deux niveaux de gouvernement [fédéral et national] ne pourra disposer des moyens d’une planification socialiste de la vie économique ». C’est très clair, il faut briser les souverainetés nationales pour empêcher tout risque de socialisme.

Les partisans du système politique appelé aujourd’hui à tort l’Union européenne se plaisent à fixer la date du début de cette opération au 9 mai 1950 avec la Déclaration Schuman qui annonçait la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). C’est totalement inexact.

C’est le 21 octobre 1949 que tout a commencé comme nous le révèlent les archives américaines. Ce jour-là, le secrétaire d’État américain, Dean Acheson, qui vient de remplacer le général Marshall, convoque les ambassadeurs américains en Europe. Voilà ce qu’il leur dit : « Par progrès vers l’intégration européenne, j’ai en tête, en tant qu’objectifs et engagements entre Européens, qu’ils décident le plus vite possible du calendrier pour créer des institutions supranationales opérant sur une base qui ne soit pas celle de l’unanimité pour s’occuper de problèmes spécifiques, économiques, sociaux et peut-être autres ».

Du coup il s’adressait personnellement à Robert Schuman le 30 novembre 1949 (soit six mois avant la fameuse Déclaration), toujours selon les archives américaines, en lui disant ceci : « Je crois que notre politique en Allemagne, et la mise en place d’un gouvernement allemand capable de prendre sa place dans l’Europe de l’Ouest, repose sur l’hypothèse d’un leadership de votre pays sur ces questions ». C’est donc le gouvernement américain qui a donné à Robert Schuman le feu vert pour lancer la CECA, et non les prétendus « pères fondateurs » de l’Europe, vulgaires agents américains comme Jean Monnet, ou collaborateurs du régime de Vichy comme Robert Schuman lui-même.

 

L’Union européenne s’est forgée à coups de traités qui ont, pas à pas, détruit les souverainetés nationales et orienté la construction européenne dans une seule direction : celle de la liberté de circulation des marchandises, des capitaux, des services, de la main-d’œuvre (les « quatre libertés ») et de la mise en concurrence des systèmes économiques

 

En France, ils ont principalement été défendus par des socialistes (avec un rôle déterminant de François Mitterrand et Jacques Delors) qui n’ont jamais hésité à adapter la Constitution française chaque fois que cela s’avérait nécessaire. Après le traité de Rome de 1957, l’Acte unique signé en 1986 par 12 pays est le traité qui a vraiment accéléré la construction d’un marché unique et met en place la liberté de circulation des capitaux (1990). Le traité de Maastricht de 1992 lance l’union monétaire. L’adhésion à la monnaie unique a un coût : ce sont les fameux critères de convergence : une inflation qui n’excède pas 2%, un déficit public ne dépassant pas 3% du PIB et une dette publique inférieure à 60% du PIB. Après l’échec du traité constitutionnel européen (TCE) en 2005, est arrivé son frère jumeau : le traité de Lisbonne, entré en application en 2009. C’est avant tout un traité symbolique ; il ne marque pas de progression importante de l’intégration européenne mais permet de graver dans le marbre les règles du marché européen mises en place progressivement et de remanier le traité de Maastricht. Plus dangereux, le pacte budgétaire est basé sur l’équilibre des finances publiques (la fameuse règle d’or du déficit « zéro », en réalité 0,5% du PIB) et donne un droit de regard des institutions européennes sur les budgets nationaux. Voté par le parlement sous le gouvernement Sarkozy, le pacte budgétaire, rebaptisé « pacte de croissance » pour sauver les apparences, a été ratifié dans les premiers mois du quinquennat de François Hollande. Il donne un sérieux coup de pouce aux plans d’austérité qui s’appliquent dans tous les pays de l’UE pour détruire les systèmes de solidarité. Désormais, la Commission européenne donne la marche à suivre au gouvernement français dans une note qu’elle publie chaque semestre. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) est le petit frère du FMI : il prête aux pays endettés désormais lourdement sanctionnés. Dans le même temps, s’est organisé l’élargissement aux pays méditerranéens puis aux pays d’Europe Centrale et Orientale pour agrandir la taille des marchés (et notamment du marché du travail) et diluer les pouvoirs de décision.

 

L’Union européenne est le système le plus sophistiqué au monde reposant sur la tentative de construire une civilisation par le marché

 

Toute l’idéologie européenne s’appuie sur la croyance insensée que l’on peut résoudre les problèmes du monde en établissant un ordre quasi-intégralement marchand. L’Union européenne est un monstrueux système de domination et d’aliénation des peuples dont il faut s’émanciper.

L’ouverture totale des marchés de capitaux, qui est probablement le symbole majeur de l’Union européenne et de sa crise, ne pouvait aboutir à un résultat différent de celui que nous avons aujourd’hui sous les yeux. L’euro a été le vecteur et l’amplificateur de cette circulation effrénée des capitaux. Le Conseil européen extraordinaire tenu à Lisbonne en mars 2000 avait rappelé la doctrine européenne en la matière : « Des marchés financiers efficaces et transparents favorisent la croissance et l’emploi en permettant une meilleure allocation des capitaux à un moindre coût ».

Avec le recul, on se rend mieux compte soit de l’incompétence absolue des dirigeants européens, soit de leur méprisable duplicité. Ils sont même parvenus à inclure ces conceptions délirantes dans l’article 120 du traité de Lisbonne qui stipule que « Les États membres et l’Union agissent dans le respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, favorisant une allocation efficace des ressources ». C’est la reprise presque mot pour mot de l’inénarrable théorie de « l’efficience des marchés financiers » qui explique avec le plus grand sérieux qu’il faut libéraliser totalement les marchés financiers car cela permettra la meilleure allocation des capitaux aux projets rentables, ce que ne pourrait pas faire l’État.

 

La création et le développement des marchés financiers résultent entièrement d’un choix politique et non d’une fatalité économique

 

L’Union européenne et l’euro ne sont pas victimes de la mondialisation et de la globalisation financière – et encore moins un « bouclier » pour s’en protéger , ils en sont les co-auteurs. Tout ce qui est appelé la « construction » européenne – et que l’on devrait appeler en réalité la déconstruction européenne a été subordonné à ce but. Il fallait attirer vers les marchés financiers européens les capitaux recherchant à l’échelle planétaire une rentabilité maximale à très court terme. C’est pourquoi les taux d’intérêt sur les obligations d’État sont régulièrement plus élevés en Europe que ceux des États-Unis. Tout cela rend structurellement l’euro fort, c’est-à-dire cher, trop cher. Les entreprises européennes sont alors poussées à baisser sans cesse leurs coûts salariaux d’un côté, tandis que d’un autre côté l’euro pousse à la baisse de la fiscalité sur le capital, affaiblissant les finances publiques. Certes, les capitaux ont afflué dans la zone euro, mais comme leur rentabilité était supérieure à la rentabilité des investissements productifs, ils sont allés à la spéculation. Le taux d’investissement des entreprises a baissé, encourageant les délocalisations et le chômage. La crise de 2007-2008-2009 a clairement montré l’absurdité de cette théorie de l’efficience des marchés financiers. Heureusement que les États étaient là, avec l’argent public des citoyens, pour sauver les banques de la faillite ! Pourtant les oligarques européens n’en ont tiré aucune leçon.

 

Un tel système ne peut pas changer d’essence. Il ne peut pas s’améliorer de l’intérieur. Il faut en sortir !

 

L’Union européenne, en effet, est un des piliers de l’ordre néolibéral mondial sous contrôle étatsuniens, avec le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, l’OTAN, l’OCDE. La lutte contre cet ordre néolibéral passe nécessairement par la sortie des piliers qui le soutiennent.

Pour parvenir à leurs fins, les classes dominantes, nanties de leur arme de destruction massive des droits sociaux qu’est le néolibéralisme, ont provoqué une gigantesque crise mondiale systémique dont elles sont les seules à profiter. Tous les secteurs de la vie politique, économique, sociale, culturelle, ont été rongés pour laisser place à la marchandisation de tout ce qui pouvait l’être.

Un vaste plan de reconstruction doit être entrepris d’urgence. Toutes les lois ayant contribué à provoquer ce désastre, l’amplifier et l’exploiter au profit des classes dominantes doivent être abrogées. Cette abrogation concerne la quasi-intégralité des lois, décrets et arrêtés appliqués en France depuis 1983. Sur cette période, aucun progrès n’a été enregistré, dans aucun domaine, et il serait plus simple de faire la liste des textes à conserver que celle des textes à abroger ! Il faut toutefois passer par l’abrogation, car si ces textes ne sont pas abrogés, ils restent force de loi. Toutes les réformes qui ont été menées sont en réalité des contre-réformes qui ne visaient qu’à entamer le pouvoir du travail pour défendre les intérêts du capital et à détruire le système de solidarité mis en place dans l’après-guerre.

0 Filet 2

FORUM OUVERT À LA DISCUSSION

Si vous voulez faire un commentaire ou participer au débat sur cette introduction
au programme du Parti de la démondialisation, cliquez à la fin de l'article

 

[1] Membres d’une école de pensée économique et politique née en France vers 1750.  Pour eux la source de la richesse repose sur la capacité « miraculeuse » de la terre à produire de la nourriture à chaque printemps. La seule activité réellement productive serait l’agriculture car la terre multiplie les biens : une graine semée produit plusieurs graines. L’industrie et le commerce sont considérés comme des activités stériles car elles se contentent de transformer les matières premières produites par l'agriculture. Leur doctrine est un mélange de libéralisme économique et de despotisme éclairé. Pour eux l’'État doit être gouverné par des propriétaires fonciers car eux seuls ont une patrie, patrie et patrimoine étant joints. Ils sont donc hostiles à toute réglementation. La formule « laissez faire [les hommes], laissez passer [les marchandises] » vient d’eux. Leur chef de file est François Quesnay.

[2] Notion définie pour la comptabilité nationale permettant de mesurer l’activité économique sur une période. Toutes les personnes physiques et morales d’une société participent à la vie économique. Elles sont en relation les unes avec les autres, prennent des décisions, versent ou perçoivent des revenus, consomment, épargnent, investissent, prêtent et empruntent. Les « agents économiques » sont regroupés en tenant compte de leur activité principale en cinq principaux secteurs : les entreprises, les ménages, les administrations, les institutions de crédit, le reste du monde.

[3] L'école de pensée monétariste, représentée par Milton Friedman, se fixe pour objectif de limiter au minimum l'intervention de l'État. Elle rejette les politiques fiscales et budgétaires keynésiennes qui prônent l'usage de la politique monétaire comme instrument d'une croissance économique stable. Cette théorie présente l'avantage de donner une explication simple à la hausse des prix, l'inflation proviendrait en effet de l'intervention des autorités qui créent trop de monnaie. L’État devrait alors renoncer à ses interventions, car le marché, selon eux, permet « l’allocation optimale des ressources ». Par conséquent le chômage existant serait «naturel» (correspondant à un minimum inéliminable dans une économie) ou même «volontaire», puisque tous ceux qui veulent travailler au salaire courant pourraient le faire. Pour Milton Friedman : « L'inflation est toujours et partout un phénomène monétaire dans le sens où elle est, et peut être, simplement provoquée par une augmentation plus rapide de la quantité de monnaie que du niveau du produit ». Puisque cette doctrine affirme que c'est la quantité de monnaie qui influe sur le niveau des prix, la politique économique monétariste prescrira que cette quantité de monnaie doit être fixée par des autorités monétaires indépendantes (la Banque centrale). Les idées monétaristes inspirent totalement la Banque centrale européenne.

[4]La création monétaire a pour première origine la décision d’un agent économique (un particulier, une entreprise) qui souhaite acquérir un bien (une voiture, une maison, une machine) sans avoir les ressources financières nécessaires. Si le crédit n’existait pas, cet agent économique ne pourrait pas réaliser son projet immédiatement et devrait attendre de disposer des ressources nécessaires pour le faire, ce qui dans certains cas pourrait prendre des années, voire ne jamais se réaliser (par exemple acheter une maison pour un particulier). Grâce aux crédits qu'elles accordent à leurs clients, les banques commerciales vont permettre à ces projets de se matérialiser. Il y a cependant deux façons pour les banques commerciales d'octroyer des crédits à leurs clients. La première consiste à utiliser les dépôts de leur clientèle qui ne sont pas employés. Les banques transfèrent alors des ressources venant d'agents en capacité d'épargne vers des agents ayant des besoins de financement. Comme les dépôts de leurs clients sont généralement liquides à court terme et que les prêts qu'elles accordent sont à plus long terme, les banques pratiquent la transformation d'une épargne liquide préexistante en financements plus adaptés aux besoins de l'économie. Ce processus est résumé par l'adage « les dépôts font les crédits ». Toutefois, il s'agit ici d'un simple transfert d'une catégorie d'agents vers une autre, et il n'y a donc pas de création monétaire. La seconde façon pour les banques commerciales d'octroyer des crédits à leurs clients consiste à créer de la monnaie, c'est-à-dire à effectuer un prêt sans avoir les montants correspondant en ressources (dépôts). Pour ce faire, les banques commerciales vont créditer le compte courant de leur client du montant du prêt accordé. Par un simple jeu d'écriture, elles vont ainsi créer de la monnaie. Dans ce cas, « les crédits font les dépôts » puisque le montant du crédit octroyé vient alimenter le compte courant du client de la banque commerciale.

La création de monnaie vient aussi de l’État. La banque centrale est la banque des banques, elle peut prêter aux agents économiques (si sa politique n’est pas monétariste !).

Le mécanisme actuel de la création de monnaie par le crédit des banques privées est un « cancer » qui ronge irrémédiablement les économies. C’est la création de monnaie par des faux-monnayeurs. La création monétaire doit relever de l’État et de l’État seul.

[5] Une émission obligataire, appelée aussi emprunt obligataire, est un emprunt lancé par une entreprise (d’une certaine taille), une banque, un État ou une organisation gouvernementale. L’emprunt est matérialisé par des obligations qui représentent une fraction du montant total de l’emprunt. Ces obligations sont achetées par des investisseurs (banques, investisseurs institutionnels), leur montant unitaire est compris entre 500 et 100.000 euros. Elles prévoient le versement d'un intérêt, le plus souvent annuel, et un remboursement du capital à l’échéance de l’emprunt (10 ans par exemple). Les obligations sont le plus souvent négociables, autrement dit après les avoir acheté sur le marché primaire (marché du neuf), il est possible de les revendre sur le marché secondaire (marché de l’occasion). Une obligation est un titre de créance, et non un titre de propriété comme les actions. Les États émettent régulièrement des obligations et les placent à des banques qui ont été sélectionnées et qui sont obligées d’acheter une certaine proportion de chaque émission, on les appelle en France les banques Spécialistes en valeur du Trésor (SVT). Ces émissions servent surtout à rembourser le capital des emprunts précédents arrivant à échéances et à gérer la trésorerie de l’État, parfois à investir. Les échéances vont de 2 ans à 50 ans.

[6] Walter Lippmann (1889-1974) a été journaliste aux États-Unis et devint leur doyen. Secrétaire adjoint à la Guerre lors de la Première Guerre mondiale, il critiqua ensuite sévèrement le New Deal de Franklin Roosevelt. Champion du libéralisme le plus ultra, il écrivit de nombreux ouvrages dont les plus connus sont : Drift and Mastery (1914), Public Opinion (1922), A Preface to Morals (1929), The Good Society (1937), et Essays in the Public Philosophy (1955). Il a obtenu deux Prix Pulitzer en 1958 et 1962.

[7] Friedrich von Hayek (1899-1992) Connu pour son pamphlet anti-collectiviste, et antiétatique, La Route de la Servitude (The Road of Selfsdom) paru en 1944, et son prix Nobel d'économie qu'il obtiendra en 1974.

[8] Cité par Richard Cockett dans Thinking the Unthinkable, Think-Tanks and the Economic Counter-Revolution, 1931-1983, Londres, Fontana Press, 1994.

[9] Conseiller économique de Margaret Thatcher.

[10] Margaret Thatcher, Les chemins du pouvoir, Mémoires, tome 2, Albin Michel, 1995, pp. 55-56.

[11] F. A. von Hayek, The road of serfdom, G. Routledge, 1944, pp. 151-152.

[12] Citée par Richard Cockett, Thinking the Unthinkable - Thinks-Tanks and the Economic Counter-Revolution 1931- 1983, HarperCollins Publishers, 1994, p.104.

[13] Keith Dixon, Les Evangélistes du marché, Paris, Liber, 1998, p. 18.

[14] Victor Monnier, William E. Rappard, Ed. Slatkine et Helbing & Lichtenhahn, 1995, p. 748.

[15] Rassemblement de personnalités venant des États-Unis, d'Europe et du Japon, créé au début des années 1970, chargé de réfléchir à l'évolution du monde et de produire une nouvelle idéologie.

0 Filet 2