Le capital au XXIe siècle…

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Marx-versus Piketti

 

Conte néolibéral de T. Piketty

Par Joël Perichaud, secrétaire national du Parti de la démondialisation aux relations internationales.
 

Le livre de Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, a été encensé par les médias mainstream, la « gôche » de Saint-Germain-des-Prés, les sociaux-démocrates et tous les thuriféraires du capital et de l’Union européenne. Présenté comme un « nouveau Marx », Piketty n’est qu’un recycleur des idées libérales éculées des siècles passés. Complètement à l’opposé des analyses de Marx, il accrédite la thèse selon laquelle le capital est consubstantiel au développement de l’humanité. Son livre est un bréviaire a-historique destiné à rendre illusoire toute alternative au capitalisme.

Piketty part sur de mauvaises bases : celles des exploiteurs qui prétendent que le capital est dans la nature même de l’évolution de l’humanité. Leur  définition du capital qu’il fait sienne, est vieille comme le monde : « Dans toutes les civilisations, le capital remplit deux grandes fonctions économiques : d’une part pour se loger c’est-à-dire pour produire des « services de logement », dont la valeur est mesurée par la valeur locative des habitations : c’est la valeur du bien-être apporté par le fait de dormir et vivre sous un toit plutôt que dehors, et d’autre part, comme facteur de production pour produire d’autres biens et services… ». Piketty poursuit : « Historiquement, les premières formes d’accumulation capitalistique semblent concerner à la fois les outils (silex, etc.) et les aménagements agricoles (clôtures, irrigation, drainage, etc.), ainsi que des rudiments d’habitation (grottes, tentes, cabanes, etc.), avant de passer à des formes de plus en plus sophistiquées de capital industriel et professionnel et de locaux d’habitation sans cesse plus élaborés. »

Piketty nous raconte une histoire fantaisiste de l’humanité. Pour lui, le capital est présent depuis les origines. Ainsi, aujourd’hui les revenus d’un compte d’épargne d’un retraité modeste seraient donc des revenus du capital ! De quoi réjouir le MEDEF, Macron et tous les néolibéraux qui nous expliquent, depuis longtemps, que nous sommes tous des capitalistes puisque nous possédons une voiture (Sarkosy disait “une France de propriétaires”…).

Une histoire pour endormir le peuple

Dans son livre, Piketty utilise perfidement le langage de Monsieur tout-le-monde. Posséder un appartement d’une valeur de 100 000 €, une assurance-vie de 10 000 € ou 1 000 € sur un compte bancaire, serait considéré, par chacun, comme un capital. C’est d’ailleurs ce que disent les manuels d’économie traditionnels et les banquiers…

Mais est-ce le même capital, est-il de même "nature" qu’une usine ou un bâtiment commercial de 125 millions d’euros? Évidemment, non. Car dans la société capitaliste le capital est un rapport social qui permet à une minorité de s’enrichir en s’appropriant le travail d’autrui (voir ci-dessous et note 2).

Et Piketty continue à réciter le bréviaire libéral en mélangeant, délibérément, tout.
Selon lui, le revenu tiré de la location d’un appartement modeste est considéré comme un revenu du capital au même titre que le revenu que tire d’Amazon, son patron Jeff Bezos.
Même amalgame sur les salaires. Pas de différence entre Tim Cook (patron d’Apple) ou Alexandre Bompard (Pdg de Carrefour), ce dernier gagnant 410 fois plus que le salaire moyen des salariés de son entreprise, ou l’équivalent de la prime de 1 000 euros promise à ses salariés, lui qui les gagne en 32 minutes de “travail”, et le salaire d’une caissière de ses magasins (1 180€/mois.)…
Alors, quand Piketty parle d’un impôt progressif sur le capital, il englobe tous les patrimoines privés, de 1 000 € sur un compte bancaire ou la fortune de Bill Gates (Microsoft) ou d’Elon Musk (SpaceX, Tesla…)
Piketty, comme tous les néolibéraux, présente le capital comme existant dans toutes les civilisations et comme devant toujours exister. Il rejoint les penseurs du capital comme horizon indépassable. Fin de l’histoire.

Piketty, le nouveau colonel Torrens (1)

Piketty se vante d’avoir lu Le Capital de Karl Marx. On peut en douter ou alors c’est plus grave qu’il n’y paraît. Car, à l’époque, Marx ironisait déjà à propos d’auteurs de son temps qui voyaient dans les premiers outils en silex l’origine du capital ou qui y voyaient du capital tout simplement. Voici ce que Marx écrit : « C’est probablement pour cela que, par un procédé de « haute » logique, le colonel Torrens a découvert dans la pierre du sauvage l’origine du capital. ». Torrens écrivait en effet : « Dans la première pierre que le sauvage lance sur le gibier qu’’il poursuit, dans le premier bâton qu’’il saisit pour abattre le fruit qu’’il ne peut atteindre avec la main, nous voyons l’appropriation d’un article dans le but d’en acquérir un autre, et nous découvrons ainsi l’origine du capital. » (in An Essay on the Production of Wealth). Fi de la valeur d’usage !
Or, Karl Marx explique qu’un artisan qui possède ses outils et travaille à son compte ne possède pas un capital et ne touche pas un salaire. Pendant les siècles qui ont précédé la victoire de la classe capitaliste sur l’ordre ancien, l’écrasante majorité des producteurs travaillaient à leur compte. Que ce soit dans les villes ou à la campagne, les artisans organisés en corporations ou les familles paysannes constituaient la majeure partie des producteurs. Ils possédaient leur outil de production et, à la campagne, la majorité des familles paysannes possédaient des terres et pouvaient utiliser les biens communaux pour nourrir en partie leur bétail ou pour glaner du bois de chauffe. Marx affirme : « Des moyens de production et de subsistance appartenant au producteur immédiat, au travailleur même, ne sont pas du capital… Ils ne deviennent capital qu'en servant de moyens d’exploiter et de dominer le travail. » (3).
Dès le XVe siècle en Angleterre et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle en Europe occidentale, la classe capitaliste s’est servie de l’État pour déposséder cette masse de producteurs de leurs outils et de leurs terres. Cet accaparement des terres par les capitalistes, commencé en Angleterre, est connu sous le nom de « mouvement des enclosures ». il consistait à mettre un terme au droit d’usage collectif des terres et des communs au profit de la propriété privée des aristocrates et des bourgeois (4). Cette privatisation des « biens communs » ou des entreprises nationales payés par les citoyens qui en sont donc propriétaires se poursuit aujourd’hui. Rappelons-nous de la privatisation d’ADP et du projet Hercule-EDF, par exemple, voulue par l’Union européenne et la Macronie. L’objectif de ces appropriations ? A l’époque, forcer, par l‘appauvrissement et la dépossession les classes populaires, à devenir salariées afin de survivre et, aujourd’hui, transformer les salariés en auto-entrepreneurs afin qu’ils survivent sans nuire au capital.
Ce processus de dépossession des producteurs de leurs moyens de production et donc de leurs moyens de subsistance ainsi que les méthodes de l’accumulation primitive du capital ont été analysées dans le livre 1 du Capital (5).  

Piketty a-t-il lu que pour Marx : « La possession d’argent, de subsistances, de machines et d’autres moyens de production ne fait point d’un homme un capitaliste, à moins d’un certain complément, qui est le salarié, un autre homme, en un mot, forcé de se vendre volontairement »… C’est pourtant clair ! De même que  « La découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signalent l’ère capitaliste à son aurore ».

La définition du capital selon Thomas Piketty : la fin de la lutte des classes

Selon Piketty, le capital a donc existé dans toutes les civilisations et remonte à la préhistoire… Pour lui un outil préhistorique en silex, une caverne, une usine d’assemblage d’ordinateurs seraient des capitaux et si on croit son conte pour enfants, l’accumulation « capitalistique » remonterait même au rassemblement de plusieurs silex percutés et taillés…
Cette description faussée de l’histoire, chère aux classes dominantes, est destinée à cacher la spécificité historique du capital, sa genèse, la manière dont il est reproduit, dont il est accumulé, à quelle classe il appartient, à quelles relations sociales et à quels rapports de propriété il correspond. Les exemples de capitaux de Piketty ne sont destinés qu’à masquer la réalité et à empêcher la compréhension de sa nature intrinsèque.

D’ailleurs Piketty met (presque) exclusivement l’accent sur le rôle de l’héritage et de la politique fiscale favorable aux capitalistes pour expliquer l’accumulation capitaliste actuelle. Mais, ces facteurs qui jouent certes un rôle non négligeable dans la transmission et le renforcement du capital, ne le créent pas.
En réalité, pour que le capital du capitaliste puisse entamer un énorme processus d’accumulation, il lui a fallu déposséder par la force les producteurs de leurs outils de travail ainsi que de leurs moyens de subsistance et exploiter leur force de travail. L’accumulation du capital qui se poursuit aujourd’hui est toujours due à l’exploitation des travailleurs et de la nature. Le capital ne joue aucun rôle utile pour la société. Au contraire, la poursuite de son accumulation est mortifère. Mais de cela, Piketty ne dit mot et justifie l’exploitation et l’accumulation capitaliste : « À partir du moment où le capital joue un rôle utile dans le processus de production, il est naturel qu’il ait un rendement. ». Cette position idéologique correspond à celle de ses maîtres capitalistes : « Cela ne m’intéresse pas de dénoncer les inégalités ou le capitalisme en tant que tel, (…) les inégalités sociales ne posent pas de problème en soi, pour peu qu’elles soient justifiées, c’est-à-dire fondées sur l’utilité commune (…) » écrit-il. Or, il n’existe pas d’utilité commune dans le cadre capitaliste mais au contraire un accaparement par un très petit groupe de propriétaires au détriment de l’immense majorité du peuple.

Il est important de comprendre “d’où parle Piketty”. En effet, loin d’être un nouveau Marx, il n’est qu’un rabâcheur des idées, fausses et éculées, de ses maîtres, les capitalistes et les néolibéraux. On comprend mieux l’intérêt qu’ils ont, ainsi que leur presse aux ordres, à le pousser sur le devant de la scène médiatique. Avec lui, rien ne changerait. Et ce ne sont pas quelques prises de positions, qu’il prétend de “gôche”, qui amélioreront le sort des classes dominées. Le capital et le travail sont irréconciliables. Le travail ayant été inféodé par le capital, ses fruits sont accaparés par une minorité pour accumuler du capital et en jouir. Piketty le sait. Mais il a choisi son camp en se faisant le complice et le passeur « moderne » des classes dominantes.

Notes
1 - Robert Torrens (1780–1864) était un officier de l'armée britannique et un économiste, propriétaire du journal The Globe. Il a énoncé le principe de l'avantage comparatif (dont l’autre théoricien sera David Ricardo). C’est l’un des rares économistes classiques à avoir proposé une critique du libre-échange, avec ses théories de réciprocité commerciale et de la valeur-travail.
2 - Marx Le Capital, Livre premier : Développement de la production capitaliste, 3e Section : La Production de la plus-value absolue, Chapitre : Production de valeurs d’usage et production de la plus-value. Disponible sur internet : https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-7.htm
3 - Karl Marx, Le Capital - Livre premier. Le développement de la production capitaliste, Section : L’accumulation primitive.
4 - Lire le Chapitre 27 du livre 1 du Capital de Karl Marx : L’expropriation de la population campagnarde https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-27.h…
5 - Le Capital - Livre premier : Le Développement de la production capitaliste, Section : L’Accumulation primitive.