Guerre et capital : un couple infernal

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Guerre et capitalisme _ lupo
Dessin de Lupo - https://lupodessins.wordpress.com/

 

Pour accélérer l’offensive néolibérale qui vise à détruire les nations, atomiser les peuples, bâillonner les opprimés, piller la planète, rien ne vaut une bonne guerre…
La paix est « démonétisée ». Longtemps et vivement mobilisatrice dans le mouvement ouvrier, le Parti communiste et les humanistes, la Paix est passée de mode… L’internationale des mondialistes va-t’en guerre a pris le relais. Vous pensez vraiment qu’on exagère ?

Fabien Scheidler (1) définit le capitalisme comme « Une économie qui vise l’accroissement sans fin du capital, des États-nations dotés d’appareils militaires, policiers et administratifs centralisés et une idéologie qui présente l’expansion de ce système comme une mission providentielle dans l’histoire de l’humanité. Des mécanismes, logiques, finalités, raisons et déraisons qui fondent le jugement de Jaurès que "le capitalisme porte en lui la guerre, comme la nuée porte l’orage". »

Alors que ces dernières années les populations occidentales détournaient leur regard des guerres militaires qui leur semblaient lointaines, puisque la « guerre économique » prévalait, sans chars, ni bombes, et que l’Union européenne s’était parée de la vertu de garantir la paix et la coopération, les faits montrent a contrario une réalité bien différente. Certes le capitalisme néolibéral a opté pour une guerre de la concurrence entre les nations, les peuples et les salariés, à coup de délocalisations et de désindustrialisations, de gel des salaires, de chômage comme mode de régulation de l’inflation, de paupérisation des services publics, de libéralisation et de privatisation, de reculs des droits sociaux entraînant l’accroissement du nombre de pauvres (plus de 10 millions en France). Mais pour autant, le capital ne s’est jamais exonéré de mener des guerres militaires.

Des guerres menées par l’Occident pour convertir le monde au modèle néolibéral

Loin des yeux, loin du cœur. À des milliers de kilomètres de l’Europe (il est intéressant de noter comment la guerre en Yougoslavie est si souvent oubliée) et des États-Unis, les guerres et leurs cortèges de morts, de blessés, de déplacés, de destructions, se sont poursuivies en même temps que la guerre économique. Elles furent vendues aux populations occidentales comme justes et utiles : menées au nom de la démocratie pour libérer des populations de la dictature et de la misère. Le bien était du côté des guerriers occidentaux, le mal du côté des méchants, là-bas, ailleurs. Le beau récit avait ses images et ses héros, tel un BHL (Bernard Henri Levy), chemise blanche et poitrail à l’air, soutenant les Ukrainiens qui manifestaient pour la liberté, en fait celle d’entrer dans l’Union européenne, au cours de la « Révolution orange », masquant ainsi la réalité d’un pays corrompu et gangréné par des organisations pro-nazies, ou encore des ONG défendant le droit d’ingérence… L’OTAN semblait une évidence, invincible et nécessaire. Les morts lointains étaient des dégâts collatéraux. Les guerres saintes pour évangéliser le monde entier et le convertir au modèle « démocratique », de préférence anglo-saxon, furent peu dénoncées et finalement tolérées. Et c’est toujours le cas.

Ventes d’armes, c’est bon pour le PIB ! Quitte à armer ses adversaires

D’autant que prospèrent comme jamais les ventes d’armes dont les États-Unis sont les premiers pourvoyeurs. Les gouvernants français, souvent en déplacement commercial, fourguent des avions de chasse ou des sous-marins et autre attirail meurtrier, à qui veut bien les acheter. Quel que soit le pays acheteur, l’irrespect des Droits de l’Homme et patati patata, l’agent gouvernemental, accompagné de marchands de canons, revient quasi en héros si le business a été juteux. Tout bon pour le PIB !
Bref, un « monde » de dingues qui arme ses ennemis tout en proférant des déclarations indignées à leur encontre et ferraille contre eux avec les mêmes armes qu’il leur a vendues !
Ce paradoxe n’est relevé que par trop peu, tant les esprits sont embrouillés et les forces politiques d’opposition ont fait allégeance au marché.

Le recours à l’histoire et à la raison pour mieux comprendre l’imbrication capital/guerre

L’histoire nous enseigne, nous renseigne, pourvu qu’on s’y intéresse et que les profs d’histoire et autres enseignants ne soient pas éliminés. À coup de couteau ou de sabre, l’horreur et l’indignation nationale. Mais aussi au quotidien à coup d’omerta sur le non-respect de la laïcité, à coup de réformes successives de l’Éducation nationale, du manque d’effectifs, de bac et de fac algorithmiques, de communautarisation de la société dont le néolibéralisme se repaît avec délectation car tout ce qui divise le peuple est bon à prendre. Solidarité et identité communautaire valent mieux pour les capitalistes et l’oligarchie qui les sert que l’État social et la répartition des richesses… Perte pour la nation et profit pour le capital qui craint l’union populaire et lui préfère l’union nationale quand les nuages s’accumulent un peu trop au-dessus de sa tête. On pleure un bon coup sur les victimes du terrorisme islamique, on célèbre, on déclame mais sur le fond rien ne change ! Business is business.

Les médias au service de la guerre idéologique menée par les néolibéraux

Les grands serviteurs idéologiques, politiques et institutionnels qui jouissent de la guerre économique et craignent la guerre de classes, pilonnent leurs phrases prêtes à penser et leurs « punchlines » grâce à leurs agences « d’experts » à qui ils confient les rênes pour massacrer l’hôpital public français par le « news public management », fabriquent les « éléments de langage » repris et relayés avec appétit et persévérance  par les médias aux mains de leurs propriétaires capitalistes. La boucle est bouclée. Un seul son de cloche, à la télé, à la radio, dans les journaux et même dans la bouche de très nombreux élus de la République.
Souvenons-nous des propos de Patrick Le Lay en 2004, alors patron de TF1. Largement critiqué il y a 20 ans, il décrivait une pratique qui n’a cessé de s’étendre à tous les médias : « Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective business, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. Rien n'est plus difficile que d'obtenir cette disponibilité. C'est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l'information s'accélère, se multiplie et se banalise.
La télévision, c'est une activité sans mémoire. Si l'on compare cette industrie à celle de l’automobile par exemple, pour un constructeur d'autos, le processus de création est bien plus lent ; et si son véhicule est un succès il aura au moins le loisir de le savourer. Nous, nous n'en aurons même pas le temps ! Tout se joue chaque jour, sur les chiffres d’audience. Nous sommes le seul produit au monde où l'on « connaît » ses clients à la seconde, après un délai de 24 heures. »
(2)
Juste pour mémoire (justement) : la dérégulation (ouverture à la concurrence) de l’audiovisuel a été voulue et menée par l’Union européenne dès les années 80 et approuvée et mise en œuvre par tous les gouvernements qui se sont succédé.

En 1972, Salvador Allende, président socialiste du Chili, prononce un discours devant l’ONU. Il alerte sur l’emprise des multinationales (dans le vide, hélas) :

« Nous sommes face à un conflit frontal entre les multinationales et les États. Ceux-ci sont court-circuités dans leurs décisions fondamentales  - politiques, économiques et militaires - par des organisations qui ne dépendent d'aucun État, et qui à l'issue de leurs activités ne répondent de leurs actes et de leurs fiscalités devant aucun parlement, aucune institution représentative de l'intérêt collectif. En un mot, c'est toute la structure politique du monde qu'on est en train de saper. »
Le 11 septembre 1973, Salvador Allende est assassiné par la junte militaire du général Augusto Pinochet, soutenue activement par les États-Unis. S’en suivra une dictature militaire et néolibérale impitoyable qui durera 17 ans et fera plus de 3 200 morts et disparus et plus de 38 000 torturés.

«  Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage »

Un siècle plus tôt, le 7 mars 1895, Jean Jaurès prononce un discours à la Chambre des députés. Il intervient sur trois thèmes : la démocratisation de l’armée ; l’inanité d’une guerre de revanche contre l’Allemagne ; les liens entre capitalisme et guerre et entre socialisme et paix. Pour Jaurès, le capitalisme porte en lui la guerre à deux niveaux : non seulement parce qu’il organise une hiérarchie entre les classes sociales et pousse les opprimés à la révolte mais aussi parce qu’il organise une compétition entre les puissances économiques à l’international, entre les détenteurs de capitaux, ce qui vient briser la solidarité ouvrière (l’Internationale socialiste promue par Jaurès). Dès lors, face à ce refus de la violence et de la compétition économique et mû par un idéal de concorde égalitaire, Jaurès propose un socialisme républicain.
Le 31 juillet 1914, à la veille de la Première mondiale, Jean Jaurès est tué par balle alors qu’il dîne au Café du Croissant à Paris - non loin de l’Humanité, journal qu’il a fondé en 1904.

Accumulation des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité

Selon Nils Anderson (3) « ce que vérifie Le capitalisme c’est la guerre, en relatant au fil de trente ans d’interventions militaires, les objectifs hégémoniques des puissances occidentales lors de la première guerre d’Irak, de la guerre civile dans l’ex-Yougoslavie, des guerres du Kosovo et de Serbie, de l’intervention militaire en Somalie, du génocide rwandais, des guerres dites «justes» d’Afghanistan, d’Irak puis de Libye, du déchirement syrien et de l’impasse sahélienne. Des guerres menées sous le couvert du « droit d’ingérence humanitaire » puis de la « responsabilité de protéger », qui ont dévasté des pays et mutilé des peuples, des guerres lors desquelles les dirigeants des grandes puissances ont eu recours pour les justifier à des fake news, des guerres « légalisées » en manipulant et instrumentalisant l’ONU, bafouant sa mission fondatrice de préserver la paix, des guerres dont l’OTAN fut à plusieurs reprises le bras armé, des guerres où, en violation des Conventions de Genève, se sont accumulés des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. »

La Guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force

Quoi de plus actuel que le roman de « science fiction », « 1984 », d’Orwell qui nous en dit tant sur la situation actuelle ?

Depuis l’installation du néolibéralisme, qui a débuté dans les années 80, avec la financiarisation de l’économie, la libre circulation du capital et des marchandises, nommons-la « mondialisation néolibérale », les conséquences désastreuses sur les peuples, les nations et sur la démocratie n’ont fait que croître. Et l’économie a prospéré.
Désormais, la récente volonté de plusieurs pays de s’extraire de la toute-puissance des États-Unis, avec l’élargissement des BRICS, attise de nouvelles réactions guerrières de ce pays qui s’est toujours voulu hégémonique, et de ses soutiens objectifs que sont les institutions supranationales, dont l’Union européenne est un pilier. La guerre s’est installée entre l’Ukraine et la Russie et perdure avec l’aval généralisé des puissances occidentales, à coup de livraison d’armes et de soutien financier. Fi de l’expansion de l’OTAN qui a précédé, malgré les mises en garde répétées de la Russie. Fi des accords de Minsk non respectés.
La guerre militaire a repris de plus belle dans le conflit israélo-palestinien, dont les civils sont victimes de crimes de guerre, au mépris d’un droit international bafoué depuis des décennies. Et triste constat : la quasi absence d’appel à la paix.

Il est temps de reconnaître qu’il nous faut tout construire autrement. Rompre avec la chimère d’un homme providentiel qui viendrait nous sauver de la catastrophe générale. C’est maintenant qu’il appartient à celles et ceux qui refusent un ordre injuste et meurtrier, sous toutes les formes, de s’engager pour reprendre leur destin en main.

Pour conclure, provisoirement, redonnons la parole à Nils Andersson :
 « Les profondes transformations survenues dans le rapport de force entre puissances historiques ou émergentes, le déplacement du centre de gravité des tensions internationales de la zone euro-atlantique vers l’Asie-Pacifique, les menaces d’affrontements entre des puissances régionales puissamment armées et l’élargissement du champ de bataille entre les grandes puissances jusqu’à l’espace extra-atmosphérique, inscrivent aujourd’hui les conflits potentiels non plus dans un cadre de guerres asymétriques, mais dans un retour à des guerres inter-étatiques de haute intensité. Une réalité dont il faut prendre pleinement conscience dans un monde hégémoniquement capitaliste, hautement concurrentiel, traversé par des crises  sociales  et économiques, éthiques et religieuses, sanitaires et politiques et dans lequel, cause de tensions, la domination occidentale se voit contestée. « Le capitalisme c’est la guerre » est à entendre au présent et il n’est d’autres     forces pour s’y opposer que celles des peuples. »

Nous vous donnons rendez-vous à l’Université d’automne du Pardem les 11 et 12 novembre prochain pour réfléchir, débattre et avancer. Le vrai risque consisterait à se complaire dans l’immobilisme, chacun restant seul face à lui même, alors que l’intelligence collective est tellement créative !

Découvrez le programme, inscrivez-vous

NOTE 1 : Fabien Scheidler, auteur allemand d’un livre sur les structures de domination La fin de la mégamachine, Éditions du Seuil, 2020..
NOTE 2:  Extrait tiré du livre Les dirigeants face au changement, Éditions du Huitième jour, 2004.
NOTE 3 : Nils Andersson, ancien éditeur, essayiste. Les chroniques de Recherches internationales, mars 2021. Auteur de Le capitalisme c’est la guerre, Éditions Terrasses, 2021.